PAR NADINE CRAUSAZ
Dans la banlieue de Córdoba, dans ce qui fut l’antre du Clube Atlético Che Guevara, on a caressé un rêve complètement fou : celui d’avoir réuni un jour sur la même pelouse, sous le même maillot, tous les joueurs, étoiles du football mondial, qui arborent un tatouage du Che!
La liste de ces stars internationales est impressionnante. À commencer par le dieu, Diego Maradona en personne. « El Pibe » revendiquait son admiration, sa vénération même, pour son prestigieux compatriote. Il admirait l’homme, ses idées de justice sociale et partageait la pensée humaniste du Che. Ses éloges ne tarissaient pas. Si bien qu’il n’est pas étonnant de le voir gravé dans sa peau, sur son bras droit.

Maradona avait le Che dans la peau, et il n’est de loin pas le seul. Son compatriote Juan Sebastián Verón porte le même tatouage au même endroit. Le Suisse Fabio Celestini arbore un modèle sur le bras gauche, inspiré de la photo de René Burri.
L’Italien Fabrizio Miccoli l’a fait graver sur le mollet, l’Anglais Darren Currie est réputé le porter sur le ventre, tout comme le boxeur Mike Tyson, fier comme un paon de son tatouage sur son flanc. L’Uruguayen Ernesto Chevantón, quant à lui, porte le prénom du révolutionnaire en son hommage. Outre les joueurs tatoués à l’effigie du Condottiere, nombreux sont les sportifs qui partagent ses idées et le font savoir : Eric Cantona, Kun Agüero, Cristiano Lucarelli, Paul Breitner, Sócrates, César Luis Menotti, Marcelo Bielsa, ou le rugbyman Agustín Pichot.
En 2005, lors de la cérémonie de remise du prix du meilleur joueur de la FIFA, Thierry Henry posait en bonne compagnie avec un superbe tee-shirt rouge bardé du célèbre Argentin (photo DR ci-dessous). Natif de Rosario comme le Che, Leo Messi avoue avoir la chair de poule quand il pénètre dans un stade et découvre des drapeaux à l’effigie du Che ou de Maradona. Il est vrai que des clubs de supporters du monde entier rivalisent d’originalité en déployant des banderoles immenses à la gloire du Che, à l’instar des kops de l’OM ou de Rosario Central.
D’autres artistes ne sont pas en reste. Manu Chao, auteur de la chanson Si yo fuera Maradona, aurait pu être là pour soutenir l’événement. Et qui sait, peut-être que le cinéaste Emir Kusturica aurait immortalisé l’événement avec sa caméra, à l’image de Wim Wenders qui a capturé la magie de Buena Vista Social Club.
Aucun grand joueur ne s’était réellement bougé
Le Clube Atlético Che Guevara de Córdoba aurait voulu rendre un hommage appuyé au Che Guevara, grand sportif, passionné de football. Un tel événement aurait surtout pu générer des fonds substantiels, histoire de financer ses projets, l’idée étant d’offrir une alternative à des enfants nés dans des milieux sociaux et économiques défavorisés.
Où en était-on dans l’avancée du projet ? Des contacts ont été pris avec quelques joueurs qui se disaient chauds bouillants à l’idée de jouer ce grand match dans un endroit qu’il aurait encore fallu déterminer : le stade Vélodrome de Marseille ? Celui de Rosario ? La Bombonera ? Ou simplement sur la pelouse bosselée du barrio de Jesús María, banlieue saumâtre de Córdoba ?
Mais aucun grand joueur ne s’était réellement bougé pour faire accélérer le processus.
Au cours d’une entrevue, au centre d’études Che de La Havane, la veuve du Che, Aleida March, avait émis un souhait:
Il ne suffit pas de se le graver dans la peau mais il faut aussi se remuer pour la bonne cause.
Cette partie de gala, les gamins du Clube Atlético Che Guevara se la repassaient en boucle avant de s’endormir. Le match exceptionnel, ils se le jouaient joué chaque nuit dans leur sommeil. Les étoiles dans leurs yeux brillaient comme les projecteurs d’un stade lorsqu’ils en parlaient entre eux.
On peut rêver un peu, non ? Dans ce monde de brutes !
À Jesús María, on n’aurait pas désespéré de la nature humaine. On aurait voulu y croire, hasta la victoria, siempre ! Mais le destin, comme souvent avec le Che, a frappé autrement. Le Clube Atlético Che Guevara n’existe plus, fermé en 2019, asphyxié par le manque de moyens financiers. Sa fondatrice, Mónica Nielsen (au centre sur notre photo©Nadine Crausaz de Une), avait porté le club à bout de bras, un job de titan pour ces 130 gosses du barrio – entraînements, rêves, tout sur ses épaules. Elle avait même rencontré la fille du Che, Aleida Guevara, à Rosario, qui l’avait félicitée pour ce projet qui respirait l’esprit du père. Mais ça n’a pas suffi pour maintenir le navire à flot.
Puis, en 2020, Maradona s’en est allé, emportant son tatouage du Che, son aura rebelle, et ce qui restait d’espoir pour ce match de gala. La page Facebook du club, figée avec ses 5 394 likes, reste pour la postérité, portant le mérite d’avoir au moins essayé d’exister. Le rêve s’est envolé à tout jamais, laissant les gamins de Jesús María orphelins de leurs idoles, avec leurs crampons usés et le souvenir d’un Condottiere, fidèle à son combat jusqu’à son dernier souffle.