PAR NADINE CRAUSAZ, reportage à Rio de Janeiro
Au Brésil, près de 16,4 millions de personnes vivent dans les favelas, soit 8,3 % de la population nationale. Il y a 12 348 communautés urbaines similaires au Brésil, réparties dans 656 villes. Rio de Janeiro en compte environ 800, regroupant près de 20 % de la population de la ville.
Le terme « favela » est apparu pour la première fois en 1900, lorsque le chef de la police qualifia le Morro da Providência de « favela ». Son origine remonte à la guerre de Canudos : des soldats revenus à Rio avaient campé sur une colline couverte de plantes appelées favela (Jatropha phyllacantha). Par souvenir, ils donnèrent ce nom à leur nouveau lieu de vie.
Une population stigmatisée
Les favelas sont nées d’une urbanisation désordonnée à partir de la seconde moitié du XXe siècle. L’exode rural, provoqué par la mécanisation agricole et la recherche de travail en ville, a entraîné cette expansion anarchique. Les habitants, souvent rejetés pour des raisons économiques, ont bâti eux-mêmes leurs logements.
Avec le temps, le mot « favela » a pris une connotation péjorative. Mais désormais, une classe moyenne y coexiste, contrainte par les crises successives – de la récession de 2014-2016 à la pandémie de COVID-19 et à l’inflation galopante – à se replier dans les hauteurs. Ces familles, autrefois installées dans des appartements modestes du centre, y apportent leurs aspirations déçues et leur résilience, nuançant l’image d’une pauvreté homogène.

Ces territoires ne sont pas que des « zones de criminalité » au sens stéréotypé, mais des espaces de vie structurés, régis par des règles collectives où la solidarité reste omniprésente. Là où l’État a failli depuis plus de 40 ans – en infrastructures, éducation et santé –, les Brésiliens s’organisent en réseaux communautaires solides, souvent soutenus par les bandes elles-mêmes, qui assurent transports gratuits, aides scolaires ou distributions alimentaires aux plus démunis.
La frontière ténue
J’ai vécu un temps à Santa Teresa, ce quartier bohème et touristique perché sur les collines du centre de Rio, célèbre pour ses ruelles pavées, ses ateliers d’artistes et ses vues imprenables sur la baie de Guanabara. À Santa Teresa, la frontière entre le quartier touristique et la favela voisine peut se réduire à une simple rue. D’un côté, cafés branchés et ateliers d’artistes ; de l’autre, escaliers étroits et maisons précaires où vivent des familles modestes. Cette cohabitation forcée révèle que les favelas ne sont pas des enclaves isolées, mais le poumon caché d’une ville où riches et démunis se frôlent quotidiennement.

Culture et résilience
Les favelas restent un foyer culturel vital. Elles ont vu naître la samba, le forró, le funk et le hip-hop. Les écoles de samba offrent des débouchés économiques et diffusent la culture brésilienne dans le monde entier. Parmi les plus connues, on trouve Mangueira, Portela, Beija-Flor et Unidos de Padre Miguel, qui préparent des chars spectaculaires pour le défilé du Carnaval.
Rocinha : une ville dans la ville
Rocinha, la plus grande favela du pays avec environ 120 000 habitants, est considérée comme « pacifiée ». Située au sud de Rio, elle contraste avec les zones nord, jugées trop dangereuses pour toute visite. Mais l’accalmie ne signifie pas la paix : un fragile équilibre se maintient entre trafiquants et police.
Une visite guidée et encadrée
On peut se promener dans les favelas, mais pas toutes ! J’ai visité Rocinha : rendez-vous au pied de la butte, derrière Barra da Tijuca, un quartier huppé qui borde l’océan et où les prix au mètre carré défient les lois de l’immobilier. Là, nous attendent des motos-taxis, moyen de transport idéal dans les rues escarpées de la favela.
Le groupe progresse rapidement à travers les ruelles étroites. En haut, on se fait servir une bière ou une caipi, ou de l’eau, au bar qui surplombe la « Cidade Maravilhosa », « Cité Merveilleuse ». Une terrasse offre une vue époustouflante sur la baie de Rio et Copacabana. Ensuite, on redescend à pied par un passage balisé ; le guide rappelle qu’il est interdit de faire des photos.




