Trois entreprises en crise… et l’info dans tout ça?…


Débat organisé par le Forum des journalistes économiques (FORJEC) avec les porte-parole de l’UBS, de Swissair, de la SGS, Lausanne, mai 2000

Christian Campiche, président du Forjec
“La question que se posent les confrères au sein du Forjec, c’est: à quoi sert la presse économique? Le journaliste aborde-t-il les problèmes à temps, anticipe-t-il les crises? L’esprit critique est utile avant que l’entreprise ne sombre corps et biens. Après, c’est trop tard, on ne fait que tirer sur l’ambulance. D’où l’idée de prendre des cas pratiques d’entreprises et de voir comment elles ont géré la crise au niveau de l’information.”

Geneviève Brunet, cheffe de la rédaction économique de l’Hebdo, sur le cas UBS
“Comment la fusion UBS-SBS a-t-elle été perçue par la presse? Il y a eu d’abord le stade des rumeurs, démenties par les deux établissements. Jusque-là la discrétion a été de mise pendant toute la période des négociations. Ensuite l’information a été donnée. C’était la SBS, plus profilée dans les nouveaux instruments financiers, qui absorbait l’UBS. Dans l’affaire LTCM, la prudence l’a emporté: le message était qu’on allait limiter les risques au maximum.”

Cédric Dietschy, porte-parole de l’UBS, président de la SRRP
“Il n’y a eu aucun changement dans la politique de communication. Il a fallu vivre ensemble, ce qui a impliqué, je ne vous le cache pas, un problème culturel. L’UBS, c’est 50.000 employés dont 32.000 en Suisse. Les choses étaient compliquées du fait que plusieurs éléments se sont ajoutés les uns aux autres. Outre la fusion, l’UBS a affronté les fonds en déshérence, l’affaire LTCM, les risques du bug de l’an 2000. Il a fallu régler une montagne d’obstacles tout en mettant sur pied une politique d’information la plus transparente possible. Nous avons été mal payés en retour. En 1997, tous les journaux ont titré sur des milliers de pertes d’emplois potentielles. Aujourd’hui, nous en avons mille disponibles.”

Roland Rossier, journaliste, Le Temps, sur le cas Swissair
“Je fais allusion à 1996, à l’affaire Cointrin. Swissair a annoncé la suppression de 13 vols internationaux au départ de Cointrin. Swissair a dû faire face à une levée de boucliers. Ce qui m’a frappé, c’était de l’avoir annoncé à Pâques, au moment où les gens sont en vacances et alors que les journaux ne paraissent qu’un jour sur deux. Ce n’était pas un bon calcul car personne n’est dupe. Swissair est le troisième employeur de Genève, il y a eu une guerre des chiffres. Vous auriez eu intérêt à centraliser ces données et à les communiquer une fois pour toutes.”

Jean-Claude Donzel, porte-parole de Swissair
“Je reviens sur les reproches de M. Rossier. La date du Jeudi-Saint n’était pas préméditée. Mais j’admets que ce choix n’a pas été bon pour la suite des événements. Cela dit, il ne faut pas surestimer le désengagement de Swissair. Certes, la compagnie a diminué sa présence en tant que marque. En revanche, SAiRGroup qui développe les activités parallèles compense la perte des emplois. Le Nouveau Quotidien a joué un rôle très important dans la crise en invitant les autres médias à manifester à l’Arena. Genève n’a jamais totalement digéré cet affront. Le rôle des médias peut être marqué d’un point d’interrogation car nous n’avons jamais caché notre volonté d’alliance.”

Christian Campiche, président du Forjec, sur le cas SGS
“Etant très impliqué dans cette affaire, j’ai d’abord voulu confier l’exercice à un confrère mais je n’ai trouvé personne. Je connais bien le cas pour l’avoir suivi depuis le début, il y a une dizaine d’années, quand je collaborais au magazine “Bilan”. A cette époque, Mme Salina avait opéré une révolution de palais en évinçant plusieurs membres de la direction dont le PDG Chargueraud. Il n’y avait pas de porte-parole à l’intérieur de la maison. L’attaché de presse était un indépendant. Au début, je considérais cette jeune vice-présidente plutôt avec sympathie. Etant donné qu’elle avait pris une place de choix dans la marche des affaires, j’avais sollicité une interview. Il n’y avait absolument rien à faire. La transparence était déjà nulle et pourtant tout allait encore relativement bien.”
“Les choses se sont gâtées quand Mme Salina a commencé à concentrer en ses mains tous les pouvoirs. Des éléments, parmi les meilleurs, ont été virés. J’en ai parlé dans mon magazine, j’ai été le premier à le faire. Les pressions ont aussitôt commencé par avocats interposés, ce qui m’obligeait à écrire sur des oeufs, si l’on peut dire. Je persistais car à mon sens, la situation de la SGS était porteuse de grands problèmes. A un moment donné, la présidente a changé un peu sa politique d’information. Elle a commencé à donner des interviews à des journaux ciblés, qu’elle considérait favorables à sa cause. Parallèlement, la société allait moins bien. Elle perdait de juteux contrats gouvernementaux, les actions chutaient. Je continuais à en parler, d’abord dans les colonnes de “L’Agefi”, puis au “Journal de Genève”.”
“En coulisses, Mme Salina ne devait pas rester inactive à mon égard car je recevais des mises en gardes très claires de mes employeurs. L’un d’entre eux m’a transmis un blâme venant en ligne droite du conseil d’administration. Mais les investisseurs – beaucoup ne m’ont pas cru pas pendant longtemps – ont commencé à réaliser que j’avais raison. L’heure de vérité est venue en 1998, lorsque Mme Salina a remis la présidence d’une SGS au bord du gouffre.”

De Buman, porte-parole de la SGS
“M. Campiche a décrit un psychodrame de manière parfaitement véridique. Contrairement à l’UBS où j’ai travaillé, dans la SGS il n’y a aucun S qui signifie Suisse. Sur les 250 employés de la SGS à Genève, environ 20% sont des frontaliers. Avec 1% seulement de l’effectif total du groupe basé en Suisse, vous comprendrez que pour moi la couverture étrangère est particulièrement importante.
“Un autre facteur qui différencie la SGS de l’UBS ou de Swissair est l’origine des actionnaires qui sont en grande partie étrangers. A un moment donné, je me suis dit: attention, on parle d’ingérence humanitaire au Kosovo, est-ce qu’on va parler d’ingérence médiatique dans la SGS? Ma tâche a commencé le 3 août 1998 dans une situation absolument phénoménale. Il fallait faire comprendre que si on laissait les choses évoluer telles quelles, ce n’étaient pas 300 emplois en Suisse mais plus de 20.000 dans le monde qui auraient été menacés. Les bénéfices chutaient de manière dramatique. Les mesures devaient avoir un caractère exemplaire. Elles touchaient plusieurs dizaines de cadres. C’est là que j’ai eu mon baptême du feu de la communication. En fait les personnes en France n’intéressaient personne. C’est vous dire la partialité de la couverture en Suisse romande. Nous devions d’abord rassurer les collaborateurs, ensuite informer. Donc une communication à deux volets, d’abord interne, ensuite externe.”
“Dans l’externe, il a plusieurs catégories: le public, l’économique, les analystes financiers qui jouent un rôle très important. Pour moi, confirmer qu’un directeur a été licencié à Genève est moins important que de consolider l’avis d’un investisseur sur l’avenir de la société. Nous avons organisé la première conférence de presse “catastrophe” à Zurich. La langue était l’anglais et la société genevoise. C’était intéressant… A quoi sert la presse économique? L’avons-nous d’abord? Je ne sais pas…”

Jean-Luc Lederrey, analyste financier, Banque Cantonale de Genève, ex-chef de la rubrique économique du “Journal de Genève”
“Pour une entreprise, il est très important de ne pas perdre la maîtrise de la communication. Sinon, elle perd la maîtrise de son destin. Il existe de nombreux niveaux de cibles de communication. Le problème est que ces niveaux sont parfois contradictoires et ne se complètent pas toujours très bien. Dans le cas de la Surveillance, la société n’a pas su communiquer pendant de nombreux années ce qu’elle gagnait et ce qu’elle perdait. Cela peut s’expliquer par le fait qu’elle a connu une transition dramatique, passant d’une gestion familiale à une référence mondialisée.”

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