Reagan-la-veine


Ronald Reagan meurt à 93 ans. Les médias chantent l’ode à l’ancien président qui bouscula le rideau de fer, accéléra la course aux armements et édifia une autoroute à 6 pistes pour le libéralisme pur et dur.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Il y a un mystère Reagan. Comment ce modeste acteur, ce politicien médiocre, ce gaffeur impénitent, bref cet homme sans génie a-t-il pu conditionner le monde au point d’en changer le cours de l’histoire? Et si l’explication résidait dans le facteur chance, tout simplement? Sans elle et surtout sans deux personnalités qui contribuèrent chacune de leur côté avec efficacité à ébranler le Mur, il est certain que l’ancien président des Etats-Unis ne serait jamais parvenu à gagner la guerre froide. Une formidable connivence liait en effet Reagan à Margaret Thatcher et Jean-Paul II.

Avec la Dame de fer, l’ex-locataire de la Maison-Blanche partageait le goût de l’économie bulldozer, déterminée à tout décimer sur son passage. Ouverture des marchés, exemptions douanières et fiscales, privatisations, aucune mesure favorable aux multinationales n’était assez forte pour assouvir la boulimie des stratèges du GATT, l’ancêtre de l’Organisation mondiale du commerce. Une stratégie qui s’est avérée payante puisque les dividendes du capitalisme ont permis à l’Amérique de financer la guerre des étoiles. Ce faisant, le pays à la bannière étoilée acquit une supériorité technologique telle, que l’URSS, plombée dans ses structures archaïques, rongée par la pollution et incapable d’offrir un modèle alternatif à ses populations muselées, n’eut pas d’autre voie que de s’immoler par implosion.

Non moins troublant est le parallèle avec Jean-Paul II. Certes le pape n’a jamais fait siennes les théories ultralibérales, dénonçant au contraire leurs excès dans sa doctrine sociale. Mais il a par contre sublimé la résistance aux dictatures de l’Est européen, répondant de la sorte aux voeux les plus chers du Gouvernement américain. Les attentats dont Reagan et Jean-Paul II réchappèrent par miracle la même année, en 1981, attestent également de la communauté de destin de deux hommes dont la vocation première fut le métier des planches.

La veine de Reagan a donc été de voir sa présidence tomber dans la bonne tranche de siècle. Même la vieillesse l’aura ménagé, d’une certaine manière. L’Alzheimer dont il est mort lui a épargné une lourde désillusion, celle de réaliser que le matérialisme libéral dont il s’était fait le champion, parce qu’il conduit aussi à de terribles aberrations, est aujourd’hui remis en question.

Commentaire paru dans “La Liberté” du 7  juin 2004

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