Libéralisation de l’électricité: un «merdier» belge guère enviable


Pimpant sexagénaire, Daniel Depris est le pionnier de la lutte contre les nuisances physiques de l’environnement et un spécialiste incontesté des pollutions imputables aux rayonnements non ionisants, aux infrasons et aux ultrasons. Président du Comité européen pour la protection de l’habitat, de l’environnement et de la santé (CEPHES), ce consultant indépendant intervient en France, Italie, Espagne et Suisse. Des associations de citoyens le sollicitent pour analyser et disséquer des projets d’implantation de lignes électriques à très hautes tensions, d’émetteurs hertziens, de relais de téléphones portables. Véritable bête noire d’EDF, Daniel Depris est retourné dans sa Belgique natale où il a assisté à la libéralisation du marché de l’électricité. Son analyse.

Le Conseil national suisse veut accélérer l’ouverture du marché de l’électricité en autorisant les PME à se regrouper pour profiter immédiatement de la libéralisation prévue. Un bon plan?

Etant donné la multitude d’opérateurs historiques, je ne vois pas l’intérêt que ces derniers vont en tirer, si ce n’est qu’au final, ils se retrouveront dans une situation identique à celle de la Belgique. Et je vous garantis que ce n’est pas enviable.

Pour quelles raisons?

Voilà un peu plus de deux ans et demi, suite aux recommandations de l’Union Européenne, la Belgique s’est lancée dans une libéralisation de son marché de l’électricité, tant en Flandre, qu’en Wallonie. Les premiers concernés ont d’abord été les clients éligibles, c’est-à-dire les gros consommateurs d’énergie que sont les industriels. Puis, cela a été au tour des administrations et des PME-PMI. Enfin aujourd’hui, nous abordons la dernière phase, celle de l’ouverture aux particuliers. Et là, passez-moi l’expression, cela devient un véritable merdier. Le nombre d’opérateurs s’est démultiplié, car très rapidement des sociétés ont vu qu’elles pouvaient tirer profit de la situation. Elles se sont donc mises à acheter des kilowatts ou des mégawatts pour les revendre dans la foulée. Les consommateurs, totalement perdus dans cette jungle de tarifs, se font assaillir par ces nouveaux opérateurs. Il faut savoir que désormais en Belgique, on se fait même racoler à la sortie des supermarchés. Et les abus sont fréquents. Entre certains clients qui signent des contrats sans les lire et des sociétés qui se constituent un portefeuille d’usagers en reprenant des noms sur des boîtes aux lettres, on en arrive à des situations hallucinantes. Pas une semaine ne passe sans que ces abus ne soient dénoncés dans la presse. Rien qu’en Wallonie, on dénombre actuellement quelque 800 plaintes de particuliers. Et ce n’est pas fini…

N’empêche qu’au final, le consommateur va s’y retrouver au niveau des tarifs de l’électricité, non?

Pas du tout. J’ai même de nombreuses études qui démontrent qu’on va arriver très prochainement à une hausse des tarifs. D’ailleurs, c’est déjà le cas pour certains usagers. J’écoutais, voilà quelques jours une auditrice à la radio, qui expliquait qu’on lui avait proposé un contrat 30% moins cher que l’opérateur historique Electrabel et au final, elle paie le double. La raison: la péréquation n’existe plus dans ce pays. Un client qui est à Bruxelles paiera désormais moins cher qu’un autre qui est à Bastogne. Auparavant le transport de l’électricité dans des régions isolées, était absorbé par un système de péréquation qui calculait une moyenne nationale du tarif de l’énergie pour desservir tout le territoire. Désormais, cela n’existe plus.

Quels conseils préconisez-vous aux consommateurs suisses?

L’électricité, à l’instar de l’eau, n’est pas un marché comme les autres. On ne peut pas le mettre entre les mains de marchands sans scrupules. Il faut que les cantons et communes continuent à jouer un rôle dans la possession et l’exploitation des réseaux. Il faut opter pour un système d’approvisionnement garanti. En Belgique, nous sommes coincés, nous n’avons aucune porte de sortie. En Suisse, il reste un espoir.

Article paru dans “La Liberté” du 14 décembre 2006

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