Quand une bonne nouvelle «coïncide» avec la pub *


Au sein de la rédaction du “Temps”, l’inauguration de pratiques publicitaires controversées n’a pas fait de remous. Lundi 7 avril 2008, le quotidien dit de référence en Suisse romande publiait une annonce pour le moins «créative», selon le jargon. En première page, la fausse une, coupée en deux verticalement, affichait une réclame pour une marque de montres de luxe. Toujours dans le jargon, on appelle cela une “slim line”. La vraie une, dont on ne voyait que la moitié droite à côté de la publicité, titrait en gros titre: «L’optimisme ne faiblit pas dans l’horlogerie».

“Le Salon international de la haute horlogerie s’ouvrait lundi à Genève, explique Jean-Jacques Roth, rédacteur en chef. Comme d’autres événements importants, il produit un réflexe autant des annonceurs que des journalistes. Mais notre choix s’est fait indépendamment de la publicité.» L’actualité n’étant pas «évidente» dimanche, les responsables ont cherché un sujet pertinent à mettre en une, explique M. Roth. Le choix s’est porté sur la bonne santé de l’horlogerie.

Cette rencontre entre pub et rédactionnel que l’on jure absolument désintéressée ne porte-t-elle pas atteinte à la crédibilité de l’information? «Nous étions conscients d’entrer dans une zone à risques. Mais comme ce ne sont pas chez nous des pratiques régulières, on ne peut pas nous accuser de ‘faire de la retape’. L’information correspond à une vraie enquête. Les salons sont l’occasion de tester la santé d’un secteur. Est-ce faire de la pub?»

Pour Le Temps, cette “slim line” était inédite. «Les annonceurs recherchent toujours plus des solutions créatives. Ils nous font beaucoup de propositions que nous refusons. Celle-ci nous a semblé acceptable, contrairement à un emballage complet du journal qui aurait une emprise trop forte sur notre identité.» L’opération a rapporté gros – on ne saura pas combien. «Il n’est pas exclu qu’elle se répète.»

Cofondateur de l’association Info en danger, Christian Campiche voit les choses autrement. Il reconnaît certes l’importance du Salon de l’horlogerie pour les lecteurs du “Temps”. Mais il demeure que «le journal a pris ses libertés avec la charte éthique des journalistes».

Dans la presse, la frontière entre publicité et rédactionnel imposée par la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes est toujours plus repoussée, déplore Christian Campiche. «C’est devenu une routine, mais il ne faut pas s’y habituer.» Les annonces prennent les formes les plus extravagantes, au point que les articles deviennent des habillages pour les réclames.

Mais les pratiques les plus visibles ne sont pas les plus pernicieuses: «Le plus grave, c’est quand les annonceurs font pression sur les contenus rédactionnels et que des publireportages se cachent sous des articles.»

Les grands événements poussent les médias à franchir la ligne rouge. Dans le cas de la Coupe de l’America, une partie des reportages diffusés sur la TSR ont été réalisés par l’équipe du navigateur Alinghi. Durant l’Euro, il s’agira d’ouvrir l’œil, car il est une aubaine pour les journaux qui chercheront à attirer le plus d’annonceurs possibles. Quitte à perdre leur sang-froid?

Dans le cadre d’un concours pour gagner des billets pour les matchs, la “Tribune de Genève” de jeudi 10 avril a parsemé son édition de ballons de foot. Ils étaient placés sans explications au beau milieu de plusieurs articles dont un sur les «émeutes de la faim». Là, le mélange s’est révélé «de mauvais goût», reconnaît le rédacteur en chef Pierre Ruetschi. Il promet à l’avenir de faire attention.

Rachad Armanios.

*Article par dans “Le Courrier” de samedi 12 avril 2008

Un commentaire à “Quand une bonne nouvelle «coïncide» avec la pub *”

  1. Penelope 13 avril 2008 at 16:28 #

    Quelques journalistes du Temps ont réagi lors de la séance matinale du lendemain, soulignant que cette Une posait un problème. La rédaction en chef n’a pas ouvert le débat, se contentant de dire que cette publicité avait rapporté de quoi payer deux journalistes pendant un an. La réponse est invariablement la même, lorsqu’on évoque aux rédactions en chef les rapports toujours plus ambigüs de la pub et du rédactionnel: la pub vous paie, donc vous n’avez rien à dire…

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