Quand une bonne nouvelle «coïncide» avec la pub


En première page, la fausse une, coupée en deux sur sa hauteur, affichait une réclame pour une marque de montre de luxe. Toujours dans le jargon, on appelle cela une slim line. La vraie une, dont on ne voyait que la moitié droite à côté de la publicité, titrait en grande accroche: «L’optimisme ne faiblit pas dans l’horlogerie». Les défenseurs de la déontologie journalistique dénoncent une grave collusion entre publicité et rédactionnel. Ils se désolent que cela ne fasse plus réagir grand monde, à l’image des journalistes du Temps. Le rédacteur en chef Jean-Jacques Roth, lui, parle simplement d’une concomitance.

«Le Salon international de la haute horlogerie s’ouvrait lundi à Genève, justifie-t-il. Comme d’autres événements importants, il produit un réflexe autant des annonceurs que des journalistes. Mais notre choix s’est fait indépendamment de la publicité.» L’actualité n’étant pas «évidente» dimanche, les responsables ont cherché un sujet pertinent à accrocher, explique en substance M. Roth. Le choix s’est porté sur la bonne santé de l’horlogerie, poursuit-il.

Cette rencontre entre pub et rédactionnel que l’on jure absolument désintéressée ne porte-t-elle pas atteinte à la crédibilité de l’information? «Nous étions conscients d’entrer dans une zone à risque. Mais comme ce ne sont pas chez nous des pratiques régulières, on ne peut pas nous accuser de ‘faire de la retape’. L’information correspond à une vraie enquête. Les salons sont l’occasion de tester la santé d’un secteur. Est-ce faire de la pub?»

Pour “Le Temps”, cette slim line était inédite. «Les annonceurs recherchent toujours plus des solutions créatives. Ils nous font beaucoup de propositions que nous refusons. Celle-ci nous a semblé acceptable, contrairement à un emballage complet du journal qui aurait une emprise trop forte sur notre identité.» L’opération a rapporté gros – on ne saura pas combien. «Il n’est pas exclu qu’elle se répète.»

Cofondateur de l’association Info en danger, Christian Campiche reconnaît l’importance du Salon de l’horlogerie pour les lecteurs du Temps. Mais il demeure que le journal a clairement violé la charte éthique des journalistes, poursuit-il.
Dans la presse, la frontière entre publicité et rédactionnel, imposée par la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, est toujours plus repoussée, déplore Christian Campiche. «C’est presque de la routine, mais il ne faut pas s’y habituer.» Les annonces prennent les formes les plus extravagantes, au point que les articles deviennent des habillages pour les réclames. Mais les pratiques les plus visibles ne sont pas les plus pernicieuses: «Le plus grave, c’est quand les annonceurs font pression sur les contenus rédactionnels et que des publireportages se cachent sous des articles.»

Les grands événements poussent les médias à franchir la ligne rouge. Dans le cas de la Coupe de l’America, une partie des reportages diffusés sur la TSR ont été réalisés par l’équipe d’Alinghi. Qu’attendre alors de l’Euro? «C’est une excellente nouvelle pour les journaux, qui n’auront aucun problème de publicité jusqu’à juillet», ironise Christian Campiche. Quitte à perdre leur sang-froid?

Dans le cadre d’un concours pour gagner des billets pour l’Euro, la “Tribune de Genève” de jeudi 10 avril a parsemé son édition de ballons de foot. Ils venaient sans explications caviarder plusieurs articles dont un sur les «émeutes de la faim». Là, le mélange s’est révélé «de mauvais goût», reconnaît le rédacteur en chef Pierre Ruetschi. Il promet à l’avenir de faire attention.

*Article paru dans “Le Courrier” du 12 avril 2008

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