Occupez-vous de vos oignons. Tel fut le conseil donné par Kaspar Villiger à des parlementaires suisses avant le récent débat au Conseil des Etats sur le plafonnement des salaires des cadres d’UBS. Le président de la banque espère-t-il faire sa petite cuisine en famille, à l’abri des questions indiscrètes? Dans ce cas, il va être servi par «Et surtout n’en parlez à personne» 1, un ouvrage qui vient de paraître en France.
Signé par deux journalistes du «Point», Romain Gubert et Emmanuel Saint-Martin, l’ouvrage dissèque l’affaire Madoff et consacre plus d’un chapitre à l’implication d’UBS dans la déconfiture de l’illusionniste de Wall Street. Les auteurs révèlent ainsi que Bernard Madoff figurait en tête de liste des courtiers avec lesquels travaillait UBS. «En 2007, sur les neuf premiers mois de l’année, UBS déclarait ainsi à la SEC (ndlr: gendarme de la Bourse américain) que BLMIS, la firme de Madoff, avait géré 14% de ses ordres au New York Stock Exchange».
Il est vrai que, depuis le début de l’année, les dépôts de plaintes contre UBS semblent s’accumuler. En cause, notamment: le fonds Luxalpha de la filiale d’UBS au Luxembourg. Comme le rappelait en avril l’hebdomadaire français «L’Express», la majorité des investisseurs français ont souscrit du Madoff par l’intermédiaire de ce fonds. Le magazine français croit savoir que la banque suisse était peut-être au courant des agissements du financier américain.
Au Luxembourg, UBS a dû déjà passer à la caisse après que la justice a permis à la banque d’affaires française Oddo de récupérer 30 millions d’euros investis dans les fonds de Bernard Madoff. UBS était promoteur et distributeur du produit. Au cœur du scandale se trouve surtout la société Access Partners, dont l’un des fondateurs, Thierry de la Villehuchet s’est suicidé l’an dernier, et avec laquelle UBS était en relation depuis l’origine. Access prospectait des clients pour Madoff par Luxalpha interposé.
Dans leur ouvrage, Gubert et Saint-Martin montrent comment UBS a été choisie par Thierry de la Villehuchet et son associé Patrick Littaye. Et aussi pourquoi la banque suisse avait accepté: les commissions s’élèvent à plusieurs dizaines de millions d’euros par an. Petit hic: le prospectus publié par Luxalpha indique que la société de gestion, UBS, est responsable de la gestion, de l’administration et de la distribution des actifs. Or, remarquent les auteurs, «les conditions d’exercice de ce rôle pour UBS font débat aujourd’hui. Le véritable gestionnaire du fonds n’était-il pas Bernard Madoff? Tout semble indiquer que oui (…) UBS apparaissait sur tous les documents dans lesquels le nom de Madoff, lui, ne figurait jamais.»
Au regard de la réglementation européenne, poursuivent Gubert et Saint-Martin, «les responsabilités d’UBS paraissent bien réelles». Se pose en effet d’abord la question de la responsabilité de la banque dépositaire dans la restitution des actifs. Ensuite, parallèlement, UBS faisait signer à certains souscripteurs un bulletin stipulant, en petits caractères, une clause les prévenant qu’elle ne garantissait pas la restitution des fonds en cas d’accident.
«Depuis le début de l’affaire Madoff, l’attitude d’UBS défie l’entendement. La banque multiplie les faux pas face aux innombrables procédures judiciaires dont elle fait l’objet. (…) UBS tente à tout prix d’éviter de porter le chapeau», commentent Gubert et Saint-Martin. Deux auteurs qui ont vainement tenté d’obtenir une réaction d’UBS à propos de Luxalpha.
UBS ne veut pas commenter le livre, «s’agissant d’une affaire juridique en cours». A notre demande, son porte-parole, Dominique Gerster, nous a fait parvenir la déclaration suivante, identique à d’autres publiées par UBS dans l’affaire Luxalpha: «Le fonds Luxalpha avait été créé pour des clients aisés suite à leur demande explicite d’accéder à un fonds fait sur mesure qui leur permettait de continuer à investir leurs actifs dans Madoff. Ces clients étaient représentés par des établissements financiers sophistiqués qui étaient entièrement conscients de la nature de ces investissements. Ces investisseurs, leurs conseillers et la CSSF étaient informés que le seul but de Luxalpha était d’investir les fonds dans Madoff. Par ailleurs, la documentation du fonds stipulait clairement qu’UBS (Luxembourg) SA ne pouvait pas offrir de garantie pour les actifs. En effet, la documentation du fonds contenait une clause de non-responsabilité à cet effet. UBS ne porte pas de responsabilité envers les actionnaires en ce qui concerne l’issue de l’affaire Madoff».
1 «Et surtout n’en parlez à personne… Au cœur du gang Madoff», par Romain Gubert et Emmanuel Saint-Martin, Albin Michel, 2009.
*Article paru dans “La Liberté” du 10 juin 2009
Josef Zisyadis dépose une interpellation au Conseil national
En date du 11 juin 2009, le député vaudois Josef Zisyadis a déposé l’interpellation suivante au Conseil national:
“La Confédération souhaite se désengager de l’UBS. Avant même d’étudier la méthode, il faudrait connaître le fond. Or le fond, c’est la situation réelle de l’UBS. On baigne dans le flou, pour ne pas dire l’obscurité totale. Il serait temps que la population soit informée. Le silence d’UBS, sauvée par les milliards du contribuable, exige des éclaircissements de la Confédération.”
“Je souhaite donc poser les questions suivantes au Conseil fédéral:
1. Où en est la banque dans son processus d’assainissement? Quelles épées de Damoclès pèsent encore sur ses résultats?
2. On sait l’UBS engagée dans une série de procès, aux Etats-Unis, en France. Car, des centaines de millions, voire de milliards au titre de réparations sont encore en jeu. A-t-elle déjà été condamnée et, le cas échéant, combien a-t-elle déjà payé (à la banque d’affaires française Oddo, notamment) ?
3. L’ouvrage des journalistes français Gubert et Saint-Martin met le doigt sur l’implication d’UBS dans l’affaire Madoff. Le titre est parlant: “Et surtout n’en parlez à personne”… L’UBS semble avoir joué un rôle important. Par l’intermédiaire du fonds Luxalpha géré par la filiale d’UBS au Luxembourg, l’UBS travaillait-elle pour Madoff ? En tant que banque dépositaire, quelle est sa responsabilité dans la restitution des actifs?
4. Une chape de plomb entoure ce scandale. La direction de l’UBS ne commente pas. Ce passage du livre précité (page 102) résume tout: “Depuis le début de l’affaire Madoff, l’attitude de l’UBS défie l’entendement. La banque multiplie les faux pas face aux innombrables procédures judiciaires dont elle fait l’objet”. Peut-on donner une explication plausible à ce silence ?”