La microfinance résiste à la crise *


La microfinance, qu’est-ce au juste, au-delà du cliché? Peut-on l’associer uniquement aux «banquiers des pauvres», Mohammad Yunus et feu Georges Aegler? Et que dire de l’initiative pilotée depuis les salons très feutrés d’un gestionnaire de fortune genevois? Associé-gérant de la maison de Pury, Pictet et Turrettini, Melchior de Muralt est un peu l’homme-orchestre de la microfinance helvétique. Un profil atypique mais une vocation probablement sincère pour celui qui fut l’un des instigateurs de la Fondation Ethos. World Microfinance Forum Geneva, la plate-forme qu’il dirige, se donne pour objectif de fluidifier l’offre de capital en créant un lien entre les organismes spécialisés dans la microfinance et les marchés des capitaux. Interview.

La microfinance est devenue une tarte à la crème au point que l’on ne sait plus ce que ce concept regroupe exactement. Où en est-on actuellement?

Melchior de Muralt: Il existe deux logiques. La première n’a pas pour vocation à proprement parler de remplacer la banque. Le but de ces entités actives dans les pays émergents selon le modèle développé par Yunus n’est pas commercial. Il en est de même pour la fondation créée par Georges Aegler à Lausanne. Reste que ce qu’elle fait n’en est pas moins très utile. Ce n’est pas pour rien qu’elle a obtenu le soutien de la Fondation Sandoz et qu’elle est très proche de la Banque cantonale vaudoise.

La BCV?

Oui, cette banque pratique à son tour la microfinance mais de manière commerciale. Nous nous trouvons donc dans une autre logique, plus technologique et qui permet à la BCV de réaliser une percée extraordinaire en matière de microcrédit. A ce jour, la BCV a financé des petits prêts à hauteur de 100 millions de francs. Environ 2000 clients, des pépiniéristes, des fromagers, des garagistes, ont pu bénéficier de crédits de fonds de roulement. Les demandes sont traitées en ligne, c’est la preuve que le système marche. Il est certes encore trop tôt pour juger de la réussite définitive de la démarche mais la structure a le mérite d’exister. Elle est tout à fait en ligne avec les besoins de la société.

D’autres banques cantonales sont-elles aussi actives dans le microcrédit?

Pas à ma connaissance. Mais le modèle développé à la BCV devrait pouvoir être réplicable ailleurs, à mon avis. La demande inassouvie de la part des toutes petites structures est considérable. Les banques cantonales devraient participer au mouvement qui ne fait que démarrer. Les jeunes ont une grande soif d’autonomie. En fait la question est de savoir quel rôle le marché peut avoir dans cette lutte contre la pauvreté. Car il s’agit bien d’inclure les exclus. Ce concept de finance inclusive accompagne le mouvement tellurique de la microfinance au milieu de la crise actuelle.

La microfinance à la rescousse de la place financière suisse, en quelque sorte?

La microfinance a grandi un peu trop vite mais elle n’en résiste pas moins à la crise. On a nationalisé Citigroup et l’UBS a fait faillite, quasiment. Mais la microfinance où seulement 10% de la demande a été affecté, tient bon (geste de toucher du bois, ndlr). Or cette activité offre un effet de levier insoupçonné, particulièrement en une période de transition et de pertes d’emplois comme celle que nous vivons aujourd’hui. Quand on sait que la Suisse joue traditionnellement un rôle de leader dans ce secteur, il faut se dire que les fonds doivent continuer à y investir dans les entreprises sociales, un peu à la manière de Migros et de Nestlé au temps des pionniers. Dans cet ordre d’idées, je caresse l’idée d’organiser une grande conférence réunissant des acteurs de la place financière suisse et des spécialistes du développement durable. Ce mélange des genres est nécessaire car il n’y aura jamais assez d’argent public pour financer les besoins sociaux. La profitabilité est nécessaire.

*Interview parue dans “La Liberté” du 9 décembre 2009

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Un commentaire à “La microfinance résiste à la crise *”

  1. Artémis 18 décembre 2009 at 12:26 #

    je remercie le radeau de nous donner des pistes, à l’image de cette réalisation concrète. Immergés dans la jungle mercantile, il nous est difficile d’y voir clair et surtout de détecter les acteurs qui travaillent à la construction d’une économie solidaire.

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