Voyage dans Le Temps et quelques pas en Atmosphères (1)


Quand on m’a proposé du travail sur juillet août, j’appréhendais d’être enfermée dans un bureau. Finalement j’ai profité d’une mise au frais pendant la canicule qui génère un air pas vraiment sain.

A mes sens, l’air conditionné ne vaut guère mieux.

Passer quatre fois par jour de la chape de plomb à la sensation de froid et vice et versa– trouvez-moi de l’ombre en plein midi sur la place Cornavin ! – c’est comme prendre l’avion, décalages horaires compris. De fait c’est un tour du monde qui m’était proposé là. « Bienvenue en enfer » me dit ma collègue en guise d’accueil.

TEXTE ET PHOTO: JACQUELINE MEIER

Mardi 11 juillet 2006

Déjà plusieurs jours que je m’évertue à manier un tableau de bord format écran d’ordinateur. Je suis intégrée dans une  équipe de trois personnes qui constitue un maillon d’une chaîne de montage. Mes neurones carburent une énergie folle à enregistrer les consignes, piloter la souris dans les méandres de multiples logiciels et si possible maîtriser les multiples «comment». Heureusement, j’ai rapidement reconnecté avec le «quoi». Relater, illustrer et formater le monde en quelques pages est une tâche impitoyablement absorbante, à rendre quiconque taciturne. À la pause café, le format écran d’ordinateur se mue en cinémascope version 3D. Par la grande baie vitrée je vois des ouvriers griller leurs torses musclés et nus sur les toits surchauffés de la gare. Je suis dans un aquarium pressurisé, isolée du dehors, mais plongée dans le monde par les images version 2D qui défilent sur mon écran. Il y a pire comme enfer.

22h. La lourde porte vitrée claque derrière moi. La place est pleine de monde et de lumières. La chaleur du soir caresse ma peau. Je dilate mes narines en marchant. Avenue des Alpes, l’air est saturé d’effluves de carburant, de kebab et de lac, un flot de piétons, groupes multiculturels, musiques qui s’échappent des voitures et, est-ce une note de parfum ?  Ivresse volatile d’être en Inde. Surgissent en force les images d’avant, celles de wagons déchiquetés entre Churchgate et Mahim à Bombay. Attentats, morts, milliers d’usagés en rade. Stupeur et consternation sur les visages. Qui a déjà emprunté des trains de banlieues en Inde peut imaginer le chaos provoqué par ces multiples explosions. Combien de fois ai-je pris cette ligne ? Aller-retour dans le temps et pensée étrange, les bureaux dans lesquels je m’active sont implantés dans une gare. J’arrive chez moi fatiguée. Je souhaiterai délivrée.

Jeudi 13 juillet

Depuis hier les bombes pleuvent sur le Liban. Après des mois de silence, ironie du sort ou prémonition ? le 9 juillet j’ai reçu un message de M* dont le sujet est : Pourquoi rester au Liban ? Au bas d’une page remplie de belles et bonnes idées de rester au Liban, il conclut « pour ne pas avoir froid, pour ne pas avoir peur, pour ne pas vivre seul. Pour tout cela….restez au Liban. »

Lui répondre rester au Liban « pour la voix si triste de Feyrouz qui réveille en nous une âme enfouie de villageoise d’opérette » ou « pour la maison d’en haut qu’on fait plus belle que l’autre, parce que c’est là qu’au soir de notre mort, on accueillera les gens du village » ou encore « pour le Ya hala claironnant du steward qui nous accueille sur l’avion de Beyrouth » comme il l’écrit ? Je lui suggère avant tout de rester en vie « pour cette vieille mémé qu’on a refusé de mettre à l’asile malgré l’appartement de Beyrouth trop étroit, et que son fils continue d’embrasser chaque soir » et « pour le grincement familier de la balançoire sur laquelle on s’assoupit, enivrés de soleil, dans le chant des cigales ».

Malgré les circonstances c’est bon de recevoir des nouvelles de M* formatées humour.

(A suivre)

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