LE MOUTON NE BÊLE PLUS: Qu’il y ait des riches et des pauvres dans le monde ne date pas d’aujourd’hui. Le sujet est pourtant d’une criante actualité, pour une double raison.
PAR BERNARD WALTER
Il y a quarante ans, les plus optimistes pouvaient espérer que l’évolution générale de la politique mondiale mènerait vers une société plus égalitaire et plus équilibrée. Certes les disparités étaient flagrantes entre l’Occident et le tiers monde, de même qu’elle l’étaient dans nos pays, entre bourgeoisie et classe ouvrière, pour utiliser un vocabulaire un peu simplificateur, et néanmoins chargé de tout son sens.
Et c’est sur ces deux plans qu’on avait le droit de se prendre à rêver un peu.
Sur le plan mondial avait émergé un mouvement du plus haut intérêt, même s’il est bien oublié aujourd’hui. Je veux parler du mouvement des pays non-alignés. Certains pays, et non des moindres (Inde, Egypte, Indonésie, l’Algérie naissante, Yougoslavie, Ghana pour l’Afrique noire, il y avait aussi le Cambodge et son roi Sihanouk le diplomate), avaient décidé de construire une alliance qui leur permettrait d’aller vers une certaine autonomie politique et économique, face à l’hégémonie des deux superpuissances d’alors, les USA et l’URSS. Grâce à ce mouvement porteur de grands espoirs pour le tiers monde, on pouvait penser que le monde irait vers des rapports plus équilibrés et équitables entre pays « riches » et pays exploités (comment qualifier autrement les pays victimes du colonialisme depuis plusieurs siècles ?).
Sur le plan local, chez nous dans les pays occidentaux, nous avons eu un après-guerre marqué par une amélioration assez générale des conditions de vie qui pouvait laisser croire qu’on allait vers un système plus démocratique sur les lieux de travail et quant aux conditions matérielles d’existence. On a appelé ces années les « trente glorieuses ».
Il se trouve qu’aucun de ces scénarios souriants ne s’est réalisé.
A grande échelle, les USA et leurs alliés occidentaux ont tout fait pour briser l’élan des non-alignés, et avec les moyens dont ils disposent, il n’était pas trop difficile d’y parvenir. (Le rôle de l’URSS dans ce processus est beaucoup moins évident, une partie des pays non-alignés recevant un certain soutien de sa part). Il devint dangereux de s’opposer aux pratiques hégémoniques du capitalisme. L’Inde et l’Egypte exceptés, car trop puissants, les pays phares du mouvement des non-alignés l’ont appris à leurs dépens. Je pense en particulier à l’Indonésie et ses centaines de milliers de morts lors d’une « chasse aux communistes » en 1965; à l’Algérie, pays dont le développement social prenait un essor important; à laYougoslavie; au Cambodge victime de massacres terrifiants, sans que personne n’intervienne.
Dans un contexte un peu différent, il y a eu le Chili et l’Irak dont on sait bien ce qu’il est advenu.
Pour qui aurait des doutes sur la haute surveillance des USA sur la politique mondiale, je renvoie à Zbigniew Brzezinski, principal idéologue de la politique étrangère américaine avec Henry Kissinger ces dernières décennies, et à son livre Le grand échiquier : la primauté américaine et ses impératifs géostratégiques, le « grand échiquier » étant naturellement la planète Terre.
De ce côté-là donc, les aspirations à plus de liberté et d’autonomie ont été brisées. Actuellement la domination du complexe politico-militaro-financier occidental est totale dans le monde, malgré certaines résistances du côté de l’Amérique latine en particulier.
Sur plan local, c’est-à-dire dans nos pays dits riches, les rapports de force deviennent toujours plus évidents. Après la « chute du communisme », il y a une vingtaine d’années, l’ennemi désigné a changé. Grâce à l’Irak, aux traquenards successifs qui lui ont été tendus, à savoir la guerre contre l’Iran, puis l’attaque contre le Koweit, enfin l’intervention des USA contre les « armes de destruction massive », l’ennemi communiste a été remplacé avantageusement par l’ennemi terroriste. Cet ennemi est partout et il est surtout arabe. Du coup, l’espèce de rempart idéologique que constituait le communisme disparaît, la comparaison, toujours à notre avantage bien sûr, n’a plus besoin d’être faite, plus besoin de dire: « Si tu n’es pas content, va voir à Moscou ». Et de fait, c’est depuis les années ’90 que chez nous on a assisté à un processus constant de démantèlement social. Ce processus culmine depuis deux ans avec des attaques en règle contre des pays de la zone européenne: Grèce, Portugal, Espagne, Islande, Hongrie, et ainsi de suite. Comme si les peuples de ces pays avaient été tous incapables de gérer leur ménage convenablement et qu’il fallait maintenant les mettre sous tutelle.
Alors des « mesures » sont mises en place. Ce sont pour le tiers monde les « mesures d’ajustement structurel », sous le patronage du FMI et de la Banque mondiale.
Et dans nos pays, les « mesures d’austérité » pour rétablir l’équilibre budgétaire, mesures promulguées par les gouvernement des pays concernés eux-mêmes, sous la pression des milieux et organismes financiers internationaux en particulier.
Tout ceci génère une pauvreté et un malheur croissants dans le monde, pendant qu’un petit nombre d’individus croulent littéralement sous les millions et les milliards de dollars.
Cela, nous le savons tous. Cela, les professionnels des médias le savent, du moins peut-on l’espérer. Mais cela, ils ne nous le disent pas – ou si peu. Ces médias qui ont la grande tendance à tout niveler et qui n’expliquent pas le contexte des événements. Qui présentent l’information comme si tout se valait, de façon neutre (sauf s’il s’agit de l’Iran par exemple, sur lequel on tire à boulets rouges), qui parlent des morts occidentaux en Afghanistan sans nous dire pourquoi ils meurent, et sans pleurer les morts afghans (car il n’y a pas que des talibans dans ce pays), qui parlent des bénéfices des banques comme ils parlent du taux de chômage dans le pays, de façon neutre, « objective ».
Une bonne information se doit d’établir le lien entre les événements. C’est pourquoi il faut parler des pauvres et des riches, et dire pourquoi les uns sont pauvres, et les quelques autres sont riches.