Egypte, un journal dans la tempête

Depuis quelques jours, le vénérable groupe de presse Al-Ahram, institution plus que centenaire, est dans la tourmente. Son syndicat qui regroupe les 10 000 employés de la maison a décidé, après les trente années de règne Moubarak, de faire bouger les choses et rendre les conditions socialement plus acceptables.

Les salariés du quotidien en langue arabe (le groupe compte aussi des publications hebdomadaires en langue anglaise et française) se montrent excédés par la gestion des affaires, gangrenée par le népotisme et la corruption. Ils réclament donc une remise à plat du fonctionnement, sur un ton vindicatif encore inimaginable il y a un mois.

Pour donner une idée de la situation dans le groupe, un ancien président directeur général touchait encore il y quelques années une commission de 10% sur les annonces publicitaires. Les recettes annuelles de la publicité dans le journal s’élèvent à près de 400 millions de  Livres Égyptiennes (50 millions d’Euros), alors que la plupart des employés sont condamnés à ne toucher que 100 Euros mensuels.

Mais comment pouvaient-ils contester ces injustices, dont la plupart répondaient d’ailleurs à la législation en vigueur? Il aura fallu la révolution du 25 janvier pour voire naître l’espoir de les éradiquer.

Le 2 mars 2011, l’ensemble du personnel de la « Fondation », comme elle est appelée en arabe, a tenu assemblée dans une immense salle de conférence flambant neuve. Sur l’estrade, le micro est passé de main en main entre les représentants des parties, qui s’échangèrent revendications, accusations et réponses à celles-ci. Les noms des responsables considérés comme les plus corrompus ont été lancés, comme jetés dans une arène de félins affamés. Le goût de la vengeance était euphorisant parmi les applaudissement nourris de l’audience.

C’est en réalité une véritable assemblée générale constituante pour les droits des salariés qui s’est tenue. La tête du rédacteur en chef a été réclamée ainsi que celle de tous les autres haut responsables. Des femmes s’indignèrent de voir leur évolution de carrière grillée par l’arrivée subite de la fille ou nièce d’un ponte, parachutée en toute arrogance et dans l’ignorance la plus totale de la priorité à l’ancienneté.

D’autres ont réclamé que les salaires du service publicité soient revus à la baisse: ils sont jusqu’à 200 fois supérieurs à ceux d’un salarié moyen! Sans compter ces « conseillers de la rédaction », rétribués outrageusement pour services…. inexistants. Une liste de douze points essentiels à revoir dans la gestion du groupe ont circulé dans l’assemblée. Un peu trop, aurait considéré le représentant de la direction qui a tenté plus d’une fois de quitter l’enceinte devenue houleuse. Une direction qui a pourtant retourné sa veste depuis le 11 janvier et la chute de Moubarak. Complètement inféodée à l’ancien régime, la libération mentale ne sera pas aussi rapide.

Article paru sur le site « Tremblements d’Egypte« 

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