Le pape François


Le pape François, ombres et lumières. Répétés de média en média, ces mots résument l’aboutissement étonnant d’un conclave éclair.

PAR PIERRE KOLB

Et caractérisent une réalité contrastée un peu frustrante pour de nombreus catholiques, et particulièrement pour les catholiques de gauche, qui auront eu un sentiment de douche écossaise. Car l’apparition du nouveau pape au balcon de Saint-Pierre à Rome apportait mercredi soir comme une bouffée d’espoir. Associé à une attitude de simplicité, le nom inattendu qu’il s’était choisi, François, faisait immédiatement penser au poverello d’Assise, surtout que ce Sud-Américain parle un excellent italien. Il s’est présenté uniquement comme l’évêque de Rome, une fausse restriction puisque l’accent était ainsi implicitement mis sur un pape qui se voudrait primus inter pares, respectueux de la collégialité souvent évoquée dès le Concile Vatican II, mais si peu mise en pratique. Ces deux aspects ont été immédiatement perçus par la plupart des observateurs, qui expriment une heureuse tonalité de changement. Lumière.

En regard de quoi la projection des ombres, qui n’a pas tardé, a eu l’effet d’une douche froide. Passons sur la réputation bien établie de conservateur, entre autres en matière de morale sexuelle. Passons… non que ce soit des détails, du tout, mais que pouvait-on attendre d’autre vu cet ensemble de cardinaux, créations de Jean-Paul II et de Benoît XVI? Il faudra voir. La surprise, la mauvaise surprise a été la controverse sur le passé du cardinal Bergoglio sous la dictature argentine.

C’est vrai. Cette affaire était connue et peu paraître à certains exagérément réchauffée, sauf qu’étant débattue au sujet d’un archevêque parmi d’autres, elle avait passé il y a quelques années dans les marges de notre actualite. Aujourd’hui il s’agit du pape, figure de référence des réflexions sociales, morales et politiques du monde contemporain. Il est donc normal, salutaire qu’on s’y arrête. Lorsque le porte-parole du Vatican fustige à ce propos des «calomnies» de la gauche anticléricale, il donne l’impression d’une déviation en corner dont il aurait pu faire l’économie. Surtout que des personnalités ayant mis le cardinal en cause – tel organisme est par exemple affilié à la CIJ (Commission internationale des juristes) sont considérées comme crédibles. Même si les griefs viennent de milieux anticléricaux, ce qui n’est d’ailleurs pas un délit, ils doivent être examinés objectivement. Cette même objectivité qui a permis de dénoncer la malhonnêteté liée à la diffusion sur la Toile d’une photo présentant prétendument le père Bergoglio (de dos) donnant la communion au général-dictateur Videla. Il ne s’agissait pas de Bergoglio.

Heureusement le Vatican ne s’en tient pas aux aspects polémiques de l’affaire, et entend réfuter. Or, le contenu des arguments et explications fournis à la décharge du cardinal mérite d’être retenu. Mais reprenons.

Complaisance?


On reproche au père Bergoglio, responsable à l’époque de la province argentine des jésuites, une attitude de complaisance envers la dictature militaire, grief formulé de façon plus générale à l’encontre de la hiérarchie catholique d’Argentine, grief donc étendu au provincial de l’ordre. Déjà là, il y a des nuances à établir, qu’on n’a pas manqué de souligner à Rome: à l’époque le père Bergoglio n’était pas évêque, mais provincial. Et le Vatican de noter: «On connaît aussi le rôle de Jorge Mario Bergoglio, après son ordination épiscopale, dans la promotion de la demande de pardon de l’Eglise en Argentine de ne pas avoir fait assez à l’époque de la dictature.»*

Lorsqu’il a exprimé ces repentirs publics, il assumait sans doute cette complaisance générale sans pour autant admettre de grief ponctuel. N’empêche, la dictature militaire ayant duré de 1976 à 1983, on sera enclin à penser que des torts ainsi reconnus permettent, avec le temps, de tourner certaine page. Des attitudes sans doute critiquables n’ont pas à rester des casseroles attachées en permanence à des personnes surtout quand leur comportement ultérieur s’est révélé irréprochable.

Prêtres enlevés

Tourner une page, mais certaine page seulement. Car les victimes ou leur entourage qui demandent encore que justice soit rendue, que la vérité soit établie sur les très nombreux crimes commis non élucidés (tortures, disparitions, enlèvements d’enfants) restent parfaitement légitimées à le faire.

Il se trouve que des détracteurs de Jorge-Marie Bergoglio ont mis en avant le cas de deux autres jésuites enlevés par la junte, torturés, disparus pendant cinq ans, laissant entendre que le futur cardinal et pape ne soit pas seulement resté passif, mais les aurait quasiment livrés au militaires. Un des deux prêtres, aujourd’hui décédé, pensait de son vivant que cela s’était passé ainsi, et sa soeur maintient ces accusations. L’autre, aujourd’hui en Allemagne, reconnaît ne pas pouvoir se prononcer sur le rôle du père Bergoglio lors de ces événements. Mais il en a discuté avec lui devenu archevêque, ils ont célébré une messe commune, et il considère l’histoire comme close. L’agence France Presse cite aussi une déclaration de l’intéressé: “J’ai fait ce que j’ai pu à l’âge que j’avais et avec les peu de relations que j’avais pour intervenir en faveur des personnes séquestrées».

Les faits discutés n’ont pas changé depuis 2005, lors du précédent conclave, où la polémique avait déjà surgi, et les éléments avancés par le Vatican sont les mêmes: «Il n’y a jamais eu d’accusation concrète et crédible à son égard. La justice argentine l’a interrogé une fois comme personne informée des faits, mais ne l’a jamais accusé. Il a nié les accusations de façon documentée. Il y a en revanche de nombreuses déclarations qui montrent à quel point Jorge Mario Bergoglio a œuvré pour protéger de nombreuses personnes pendant la dictature militaire»*.

Si les critiques émanent de milieux de défense des droits de l’homme, on entend aussi aujourd’hui des voix à décharge émanant de semblables horizons, et pas des moindres: «Adolfo Perez Esquivel, prix Nobel de la paix en 1980, a catégoriquement démenti les informations selon lesquelles le pape François aurait collaboré avec la dictature militaire en Argentine. “Il y avait des évêques qui étaient complices de la dictature, mais pas Bergoglio” a affirmé le 14 mars 2013 le défenseur des droits de l’homme de 81 ans à la chaîne de télévision hispanophone “BBC Mundo”. Il n’y avait aucun lien entre Jorge Bergoglio et la dictature argentine, qui a sévi de 1976 à 1983, a assuré Adolfo Perez Esquivel.»*

Un témoignage on s’en doute très important, de même que le fait que le cardinal n’a pas été l’objet de poursuites judiciaires, à la différence d’autres prêtres, dont certains ont été condamnés. Ajoutons que les «pièces du dossier» étaient à disposition des cardinaux, qui ont dû en tirer des conclusions suffisamment positives pour qu’en quelques tours de scrutins plus des deux tiers accordent leur voix à l’archevêque de Buenos Aires.

Certes le débat n’est pas clos pour autant, parce que des recherches qui se poursuivent peuvent amener de nouveaux éclairages. Auteur du livre “L’honneur perdu des évêques argentins”, dans lequel le père Berglogio n’est pas mentionné, le jésuite romand Albert Longchamp dit tout de même aujourd’hui que cette question d’une complaisance à l’égard de la dictature mériterait encore des éclaircissements. «Je voudrais bien savoir quels conflits il y a eu à l’époque entre les jésuites d’Argentine et le Père général de Rome». Pour l’heure la Curie des jésuites à Rome est silencieuse.

Lumière

Il reste qu’aujourd’hui un nouveau pape a été élu, qui est forcément l’objet d’attentes, et il a commencé à y répondre de fort séduisante manière. Il est vrai que l’Histoire ne manque pas d’humour, qui a voulu que le premier pape non européen, venu du bout du monde, soit fils d’immigrés italiens. Imaginez qu’après le Bavarois un Nord-Américain ou un Philippin ait été élu, choses qui finiront bien par arriver, l’effet n’aurait pas été le même sur la place Saint-Pierre.

Cela n’explique pas tout. Sa simplicité, dans la mesure où elle écarte tout un décorum de princes d’Eglise, est bienvenue. Elle donne à espérer que disparaisse l’insupportable papolâtrie qui a caractérisé les pontificats précédents. Les paroles de «l’évêque de Rome» vont dans le même sens, d’autant plus que parlant de son prédécesseur, il l’a aussi appelé «l’évêque Benoìt XVI».
Son recentrage sur «une Eglise pauvre pour les pauvres» indique que s’il a condamné, à l’instar de Jean Paul II, la théologie de la libération, il ne s’en écarte pas sur le plan de «l’option préférentielle pour les pauvres». Son allégeance à la spiritualité franciscaine le confirme.
Comment le concrétisera-t-il? Une des attentes est là. Dans le contexte du Vatican la tâche est ardue, mais ce que l’on sait de son mode de vie nous fait comprendre qu’il ne se paie pas de mots. Son pôle de lumière est là.

*Les citations sans référence explicite sont de la rédaction française de l’agence APIC (agence de presse internationale catholique) à Fribourg.

Article paru dans “Courant d’Idées

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Un commentaire à “Le pape François”

  1. jeannotat claire-marie 6 avril 2013 at 18:18 #

    Excellent article. Merci. Jorge-Maria Berglogio était dans la trentaine durant la sale guerre qui divisa et divise encore le peuple argentin les religieux et religieuses y compris. Il était supérieur de la province des Jésuites donc responsable devant les autorités de l’époque des actions des membres de la Société. Mais les membres: les deux prêtres mentionnés, ont obéit à l’évangile et à leur conscience en connaissance de cause et en assumant les conséquences. Jorge, jeune, supérieur donc responsable envers ses propres autorités, était pris entre le marteau et l’enclume. Prendre parti publiquement pour les pauvres, il aurait subi le sort de son confrère Oscar Romero et tant d’autres. (Romero avait eu le temps de se convertir!) Jorge savait qq chose de la théologie de la libération… et il avait peur de la politisation “des Jésuites” à l’époque et dans ce contexte précis. J’ai des consœurs en Argentine et je me souviens de ma réaction horrifiée lorsqu’on nous a lu une de leurs lettres disant “Nous remercions la Junta de sa protection!” Nos supérieures étaient dans la ligne de la protection des Sœurs par les autorités!
    Que le Pape François a demandé pardon au nom des évêques argentins après coups, c’est bien. La Conférence épiscopale suisse n’a pas encore demandé pardon (mis à part Martin WErlen en son nom propre) pour sa négligence et son indifférence envers les catholiques en Afrique du Sud durant la lutte anti-apartheid, et nous sommes en 2013.
    Pedro Arrupe SJ a connu le doigt menaçant de Jean-Paul II et son “bannissement” de la Société. Je donne une chance à Jorge Berglogio et sa passion pour les plus pauvres doit nécessairement le conduire à une conversion selon Jésus.

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