Instituer des ministres-sénateurs


François Hollande entend tenir sa promesse d’introduire le non-cumul des mandats, il l’a rappelé le 28 mars dernier.

PAR PIERRE KOLB

Coïncidence, le débat a brièvement ressurgi chez nous à la faveur du cas Freysinger.

Le débat est ancien. La critique des pratiques de cumul tend à l’emporter, des pratiques décriées pour le carriérisme qu’elles induisent et parce qu’elles bloquent des relèves politiques. Aussi les règles de non-cumul sont nombreuses dans les cantons, à défaut des dispositions limitatives, ainsi dans le cas valaisan où seul un conseiller d’Etat sur les cinq est autorisé à siéger à Berne. Il n’est pas rare qu’en l’absence de prescriptions légales, des partis eux-mêmes s’imposent des interdictions. Cette dernière façon de pratiquer n’est pas la meilleure, risquant plus que d’autres de créer des distorsions. Exemple le cas d’une importante commune dont deux municipaux minoritaires siégeaient au Parlement cantonal, leur parti les y autorisant.

Tandis que des municipaux du parti majoritaire n’y étaient pas autorisés… On constate aussi que la motivation de cumuler est parfois une façon de tromper l’ennui, qui fait que les travées cantonales peuvent être bien occupées par des municipaux de petites communes, dont l’influence n’est pas forcément appréciée par les édiles des grandes communes. Dans le canton de Vaud, une assez forte présence des uns et des autres dans l’arène cantonale n’a pas évité des conflits rédhibitoires entre l’Etat et les communes. Au point qu’un ministre a eu l’dée saugrenue de créer une plateforme de négociation Etat-communes, qui a surtout eu pour résultat de ralentir la procédure parlementaire et de forcer la main des députés. Mais l’histoire n’est pas finie de ce bicaméralisme qui ne dit pas son nom.

On constate enfin et surtout que les problèmes d’agenda suffisent à décourager des vocations de cumulards. Concilier une activité de ministre cantonal et de parlementaire fédéral est quasiment mission impossible, plusieurs politiciens l’ont rappelé apprenant qu’Oska Freysinger veut tenter l’expérience.

Trop lourds, ces cumuls, et c’est dommage parce que ce sont peut-être les seuls cas où le cumul, en vue d’assurer un suivi de la politique cantonale à la politique fédérale, se justifie. On peut s’en passer au niveau cantonal, même dans un grand canton: la proximité des élus, des exécutifs et des administrations rendent vaine l’argumentation selon laquelle, pour défendre valablement les intérêts d’une commune, il faut qu’elle ait un «représentant» au Parlement. En revanche sur le plan fédéral, la question de la valorisation des aspirations régionales est lancinante.

Inutile Conseil des Etats


On dira qu’il y a le Conseil des Etats. Mais justement, cette chambre a échoué, de longue date, dans sa mission de porte-voix des cantons. La motivation régionale a surtout été dans l’histoire de cette instance un prétexte pour assurer un bloc des droites face aux velleités de majorités de centre-gauche apparues à la Chambre du peuple. Ce primat des options partisanes et idéologiques à la Chambre des cantons, au détriment de la justification initiale de cette composante de l’Assemblée fédérale, est bien connu, mais les réformes envisagées, au demeurant jamais tentées, n’ont pas été convaincantes. Croit-on par exemple qu’une pondération par l’octroi d’un troisième siège à de grands cantons, ou à des agglomérations importantes, y changerait quelque chose? Elles risquerait de se révéler aggravante.

Aussi cette chambre, peut-être parce qu’elle n’a pas de sérieuse raison d’être, s’est-elle transformée en un cénacle de futurs conseillers fédéraux. On sait qu’en cas de vacance sans enjeu partisan, comme la plupart du temps, les sénateurs, conscients de leur valeur, ont une forte propension à se soutenir au détriment des conseillers nationaux. Ce réflexe de caste confère à ces gens un net avantage. L’institution est dégénérée, mais subsiste grace à cette fonction de marchepied terriblement attrayante, et toute velleité de la réformer s’en trouve vouée à l’échec.

Les illusions de la CDC

L’incapacité des cantons à exprimer leurs personnalités au moyen du Conseil des Etats a donné lieu, dans le prolongement de la crise du scrutin négatif sur l’Espace économique européen en 1992, à la constitution d’un ersatz du Conseil des Etats, la CDC (conférence des cantons). Laquelle a paru atteindre ses objectifs lors de l’opération de référendum de 2003 contre le paquet fiscal. Cette fois la Confédération a vu sa politique désavantageant les finances cantonales mise en échec. Mais cette fois seulement. La péripétie se révèle presque, avec le recul, un accident de parcours et la CDC privilégie depuis sa fonction de relais entre la Confédération et les cantons. Une sorte d’interlocuteur des cantons pris globalement, et sans pouvoir de décision. Que deviennent alors les besoins effectifs des cantons, de chaque canton pris isolément? Leur particularité n’est pas mieux prise en considération par la CDC que par le Conseil des Etats.

Pour cette raison, les cantons, et notamment leurs exécutifs, se heurtent à une double frustration. Celle de n’avoir plus prise sur le processus fédéral de décision, qui passe par les Chambres, et s’agissant des ministres-mêmes, celle d’être dans une impasse de carrière, l’arène fédérale leur étant bloquée tant qu’ils exercent leur mandat cantonal.

La marge de manoeuvre des cantons


Il ne faudrait cependant pas oublier que faute de pouvoir réformer directement le Conseil des Etats, les cantons gardent le droit d’infléchir la situation en réformant l’accès au Conseil des Etats.

Plusieurs idées ont été avancées à ce sujet, restées jusqu’ici sans suite, peut-être parce que le cumul des mandats exécutifs cantonaux et législatifs fédéraux a paru jusqu’à ces dernières années encore praticable. Un argument tombait, celui de ne pas avoir prise sur le processus de décision fédéral. Mais aujourd’hui c’est devenu un problème aigu. Dans le canton de Vaud, on a cru tourner la difficulté en assortissant le non-cumul de l’institution d’une «conférence des affaires fédérales» qui réunit le Gouvernement et la députation cantonale aux Chambres. Mais sans obligation ni de participation ni bien sûr de suivi lors des votes fédéraux, chacun retrouvant ses présupposés partisans. Une discrétion suspecte planant sur cette instance, on peut bien se douter que sans être absolument inutile – des informations passent par ce canal – cette conférence n’apporte pas à l’exécutif cantonal un bon moyen d’être actif sur la scène fédérale. Il ne reste guère qu’une seule solution, celle de de réserver au Conseil d’Etat un des deux sièges, voire les deux, de la députation cantonale aux Etats. La constitution fédérale laisse les cantons fixer les modalités de désignation des conseillers aux Etats.

Cela ne ferait certes pas disparaître les obstacles pratiques, mais des aménagements sont possibles, comme de réserver un département plutôt léger au ministre concerné, de lui attribuer d’office les affaires extérieures, etc. Plutôt que de faciliter un cumul, on mettrait en place une charge combinée fédérale-cantonale. L’idéal serait même que le ministre-député ait le droit de se faire remplacer par un suppléant, La piste est intéressante, mais il faudrait passer par une réforme fédérale. Tandis que pour la simple institution du ministre-sénateur, n’importe quel canton peut en décider, s’il parvient à modifier sa constitution en conséquence, ce qui n’est en soi pas une mince affaire.

D’aucuns objecteront que le sénateur ainsi désigné n’aurait pas la légitimité conférée par une élection au suffrage universel, ce qui n’est pas complètement juste, puisque les ministres cantonaux sont élus par le peuple.. A la limite on pourrait prévoir que la désignation du ministre-sénateur fasse l’objet d’une élection au suffrage universel spécifique.

Une autre difficulté subsiste. La Constitution fédérale décrète avec raison que les députés, conseillers nationaux ou sénateurs, «votent sans instruction» Une clause pas dénuée d’hypocrisie il est vrai, puisqu’aucun contrôle n’existe du financement des campagnes électorales des députés, comme d’autres financements politiques d’ailleurs, et l’on sait bien que les puissants sponsors de ces messieurs-dames adaptent leurs largesses à la capacité des élus à voter “juste”. L’exigence constitutionnelle n’en demeure pas moins. Comment la concilier avec le principe de collégialité qui régit le fonctionnement des exécutifs? Faut-il expliciter une dérogation ou une réserve aux exigences de la collégialité?

Cette difficulté ne devrait pas être insurmontable. Plus dur est de trouver le volontés politiques nécessaires à la promotion d’une telle idée. Mais considérer qu’une proposition a peu de chance d’aboutir est-il une raison de renoncer à la lancer?

Celle-ci présente en outre l’avantage d’être une réforme limitée, relativement simple. Nul doute que des personnalités convaincues ont plus de chances d’avancer ce pion en agissant dans leur seule sphère cantonale qu’en cherchant à remuer la pâte fédérale. Et si ça se trouve l’espoir deviendrait réel que d’autres cantons adoptent des formules, pas forcément les mêmes, mais similaires.

Ce serait séduisant. Hélas un suissisme imbécile reste vivace dans nos patelins, et l’on entend d’ici l’objection des bien-pensants: un canton qui se distingue des autres, cela ne mène à rien, il faut quelque chose qui soit introduit dans tous les cantons. Au pas, camarades!

Article paru dans “Courant d’Idées

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