L’initiative populaire fédérale pour un revenu de base inconditionnel est assurée d’aboutir: cent mille signatures ont déjà été annoncées à six mois de son délai de récolte. Du beau travail, patient et discret.
PAR PIERRE KOLB
Et une surprise pour l’officialité, où l’on semble hésiter sur la manière de combattre cet OVNI. Voyez le mutisme jusqu’ici de la SSR. Les médias commerciaux, en revanche, ne s’y sont pas trompés, comprenant que le débat public était inévitable. Une récolte aussi fructueuse, c’est bien la preuve que «ça intéresse les gens»!. Dès l’annonce de ce premier succès, constaté en avril un an après le lancement de l’initiative, les articles se multiplient sur le RBI – mettons-en le sigle en mémoire, pour Revenu de Base Inconditionnel. L’idée n’est pas nouvelle. Elle a souvent été évoquée et discutée dans des cercles parfois élitaires sous l’appellation d’«allocation universelle».
Il s’agit de garantir à tout un chacun une sorte de minimum de subsistance à hauteur du minimum vital, estimé à 2500 francs par personne, par mois. Donc, sur le plan suisse, plus que l’AVS, puisque, cette institution n’a même pas atteint, plus d’un demi-siècle après sa création, cet objectif du minimum vital qui lui avait été assigné.
2500 francs à chacun, riches ou pauvres. Au fou!, répète à foison le choeur des grenouilles de l’establishment, jouant grossièrement sur la surprise que provoque immanquablement cette idée d’allocation universelle lorsqu’elle surgit dans les conversations. Mais très vite, pour peu que l’on soit attentif aux réflexions des promoteurs du RBI, on se rend compte que cette utopie n’en est pas une, que l’idée est fondée sur des analyses économiques éprouvées, qui intègrent tous les paramètres sociaux. Ces études tiennent compte des dépenses sociales déjà nécessaires aujourd’hui, et de la complexité induite par les différents systèmes d’allocations. Elles tiennent compte aussi, et c’est très important, des activités non rémunérées actuellement, telles le travail ménager et les tâches éducatives familiales, pour lesquelles le revenu de base inconditionnel ferait fonction d’indemnisation forfaitaire. Ce qui explique aussi qu’aux 2500 francs par personne doivent être ajoutés quelque 1000 francs par enfant.
L’obstacle est d’abord psychologique, exprimé de prime abord par une critique du principe de l’arrosoir: ces allocations, octroyées aux riches comme aux pauvres? Mais on sait que déjà l’AVS est distribuée aux ayants droit qu’ils soient riches ou pauvres, et qu’en dehors de quelques propos de bistrot sur les bourgeoises à qui elle sert d’argent de poche, le principe d’universalité de cette allocation n’est pas remis en cause, et ces modalités n’ont pas mis à mal son fontionnement. Ainsi a-t-on admis que cette rente soit un droit général des personnes âgées. L’approche est analogue avec le RBI, étendu à tous au titre d’un droit à l’existence. Il faut penser que l’évolution du travail est telle qu’un nombre toujours plus important de personnes, frappées par le chômage ou les handicaps de santé, ne pourra plus avoir accès au travail, ou partiellement seulement, malgré leur bonne volonté. Simultanément, la productivité générale ne cesse de s’améliorer. Il devient donc justifiable et nécessaire qu’une part importante des fruits de cette production économique soit distribuée (on se situe donc en amont de toute redistribution fiscale) à l’ensemble de la population. L’idée est simple. Tu vis ici, tu as droit au pécule de base, au-delà duquel, en fonction de tes capacités et de tes besoins, tu peux améliorer l’ordinaire minimal en exerçant une activité professionnelle.
Le financement de cette organisation sociale révolutionnaire ne serait pas donné. A cause de la distribution de ces revenus sans condition, donc sans la contrepartie d’un travail et sans la limitation des bénéficiaires en fonction de leur âge ou de leur condition sociale, les dépenses seraient lourdes, malgré les économies obtenues en sabrant dans la bureaucratie inhérente aux institutions sociales actuelles. Les promoteurs du RBI ont effectué des études, qui évaluent le surcoût prévisible à trente milliards annuels. Ils estiment que ces recettes nouvelles peuvent être trouvées sans mettre les revenus moyens en difficulté et évoquent plusieurs solutions possibles, mais il appartiendrait aux Chambres fédérales de trancher. On peut considérer les recherches effectuées comme des indications de faisabilité suffisant à motiver une adhésion à l’initiative populaire.
Elle a été lancée en dehors des partis traditionnels, mais on y trouve des personnalités ayant une longue expérience politique, comme l’ancien conseiller d’Etat genevois Guy-Olivier Segond, un radical, ou l’ancien vice-chancelier et porte-parole de la Confédération Oswald Sigg, un socialiste. Elle est pour l’instant mal reçue par la plupart des syndicats, peut-être parce que ces organisations, engagées dans des initiatives apparement plus réalistes comme celle introduisant un salaire minimum sur le plan fédéral ou l’initiative 1:12 (écarts de salaires) craignent de s’engager sur un terrain plus glissant. Mais il faudra voir comment se présenteront les choses une fois passés les scrutins sur ces deux initiatives. Une chose est cependant acquise, le débat public sur l’allocation universelle ne peut pas être complètement escamoté, vu le succès de la récolte des signatures. Quelle ampleur prendra-t-il? Question grevée d’incertitudes. Défendre une initiative devant le peuple est une tout autre affaire, et rien ne garantit – mais qui sait… – que le contexte qui a permis le succès de l’initiative Minder soit favorable dans ce cas. Affaire à suivre.
Article paru dans “Courant d’Idées“
Je signale un très bon dossier sur ce sujet dans le Monde Diplomatique du mois de mai: “Revenu garanti, une utopie à portée de main” (http://www.monde-diplomatique.fr/2013/05/A/49101)