Ces princes qui nous pilotent


C’était le rêve de tous les garçons.

PAR MARC SCHINDLER, Alès (France)

L’uniforme avec les galons dorés, la casquette, le teint bronzé, les lunettes noires, les grands voyages, les hôtels de luxe, les jolies hôtesses: pilote de ligne! Mais ça ne fait plus rêver, depuis la guerre du Golfe. Avant, c’était le temps du prestige, des gros salaires. Le temps où voyager en avion était un privilège réservé aux riches. Fini tout ça: on peut aller passer ses vacances à New York pour 373 euros aller et retour. Si vous préférez voler Français, il vous en coûtera 669 euros!

Air France, mariée au néerlandais KLM, a pris en pleine figure les compagnies à bas prix (low-cost en franglais). Easy Jet, Ryanair et les autres flibustiers du ciel cassent les prix à tout va et les clients adorent. Fini le champagne à bord, les repas raffinés, les jolies hôtesses attentionnées. Aujourd’hui, l’avion, c’est l’autobus des airs. Et les compagnies traditionnelles, celles dont les noms faisaient rêver – Air France, British Airway, Swissair, Lufthansa, Alitalia, TWA, American Airline – luttent pour survivre. Elles ont fusionné ou même sombré. Pour garder la tête hors de l’eau, toutes les compagnies aériennes ont dû casser leurs prix: hors du low-cost, pas de salut!

Evidemment, ces princes qui nous pilotent font la grimace. Quant on est commandant de bord sur A380 chez Air France, on gagne , selon Le “Parisien”, entre 155 000 et 196 000 euros par an pour 670 heures de travail par an. Sur Transavia, la filiale low cost, on doit se contenter de 139 000 à 160 000 euros par an, pour 700 heures de vol par an. Les pilotes français volent 20-25% de moins que leurs collègues européens.

Bon, d’accord, pilote de ligne, c’est un métier stressant, avec les horaires irréguliers, les changement de fuseaux horaires, la responsabilité de la vie des passagers. Mais quand les Français travaillent en moyenne plus de 1600 heures par an et gagnent en moyenne 2187 euros net par mois, il y a certainement plus malheureux qu’un pilote d’Air France! Depuis plusieurs années, les dirigeants de la compagnie aérienne ont multiplié les plans sociaux. Comme le rappelle le “Monde“: «En deux ans, le transporteur aérien a en particulier mis en œuvre deux programmes de réduction d’effectif. Son plan Transform, lancé à l’été 2012, à peine mis en œuvre en 2013, a nécessité une deuxième couche à l’automne. Ce devait être la dernière, avait promis M. de Juniac . La difficulté est que le monde ne s’arrête pas plus de tourner que les concurrents de se battre. Le PDG d’Air France-KLM a confirmé, devant l’assemblée générale de ses actionnaires mardi 20 mai, que les efforts de productivité et de réduction de coûts ne sont pas terminés.»

Alors, on peut comprendre que les pilotes s’inquiètent pour leur avenir, leur statut et leur salaire. On peut comprendre aussi que la communication passe très mal entre des dirigeants qui pensaient avoir trouvé le sésame et les personnels qui voient l’avenir en noir. Des heures de négociation n’ont servi à rien. Les pilotes réclament le même contrat pour les vols Air France et Transavia. La direction affirme: le coût à l’heure d’un pilote d’Air France est en moyenne 70 % plus élevé que chez Transavia, car les pilotes, à rémunération égale, effectuent d’avantage d’heures de vol sur la compagnie low cost. Alors, les syndicats de pilotes ont utilisé l’arme atomique: la grève. Elle fait très mal à tout le monde: en dix jours, 100 millions d’euros de pertes pour Air France, y compris les compensations financières aux passagers (jusqu’à 600 euros), l’affrètement d’avions d’autres compagnies (150 000 euros pour aller-retour transatlantique). La grève des pilotes provoque aussi des dégâts collatéraux, selon le “Point: «En moyenne, 270 000 passagers transitent chaque jour à Roissy-CDG et à Orly. Ils dépensent dans les boutiques, cafés, restaurants et différents services une vingtaine d’euros chacun. Avec un vol sur deux d’annulé, on peut estimer à 30 % la baisse du nombre de passagers. Au final, en huit jours, ce sont une quinzaine de millions d’euros qui manqueront dans les caisses des commerçants. À 120 euros la course aller-retour pour Roissy-CDG, on peut aussi calculer le manque à gagner pour les taxis, de l’ordre de dix millions d’euros en une semaine. Les parkings d’aéroports connaissent aussi ces pertes imprévues.»

La grève des pilotes est un symbole du mal français: pour défendre leurs privilèges, les princes du ciel abusent de leur droit de grève, ils risquent de tuer leur compagnie et ruinent les métiers qui dépendent d’eux. La France est malade des professions protégées qui font grève: les contrôleurs aériens, les conducteurs de TGV, les chauffeurs de taxis, les dockers. Les passagers, les autres catégories de navigants et le gouvernement sont excédés. Le gouvernement, qui contrôle 16% du capital d’Air France soutient la direction, mais hésite à intervenir, en attendant que l’opinion en colère, fasse plier les pilotes. Gouverner, c’est aussi savoir d’où vient le vent! Courageux, le gouvernement, mais pas téméraire!

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Un commentaire à “Ces princes qui nous pilotent”

  1. Goupil 25 septembre 2014 at 09:59 #

    Chez Swiss, c’est le contraire mais la situation n’est pas tellement plus enviable. Les pilotes sont mal payés, le propriétaire allemand dénonce la CCT, le ton monte. Un personnel mal motivé, ce n’est pas la panacée non plus.

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