Ils n’ont pas formé un Etat, bien qu’ils exercent maintenant la mainmise sur un territoire à cheval entre l’Irak et la Syrie.
PAR CHLOE FALCY
D’après François Hollande, ils ne peuvent même pas se targuer de l’appellation islamique, qui lui a été retirée au profit du terme non moins équivoque de Daech – l’acronyme arabe d’Etat Islamique en Irak et au Levant. Dans la presse, ils sont dépeints comme des extrémistes qui ne peuvent en aucun cas se réclamer de l’Islam, comme l’armée noire de la terreur, sans nom et sans nationalité, qui semble être apparue de nulle part. Les musulmans du reste du monde arabe disent se détacher de ces valeurs fondamentalistes, qui ne sont pas les leurs, ni celles du Coran, et le monde entier est horrifié par ces hommes, qui, semble-t-il, sont tombés du ciel pour atterrir en plein milieu des déserts du Proche-Orient.
Par méconnaissance ou par déni, on a, jusqu’à la diffusion du documentaire «Daech, naissance d’un état terroriste» de Jérôme Fritel le 10 février sur Arte, peu fourni de réponse quant à l’origine de ces hommes aux drapeaux noirs. On les a souvent décrits comme djihadistes, ou comme extrémistes, mais on s’est peu penché sur leur origine. Avant de brandir des fusils, de parader dans des chars, de procéder à des exécutions publiques, la grande majorité étaient des citoyens des pays arabes. Si beaucoup d’européens en mal de djihad renforcent maintenant leur rang, à l’origine, ils sont majoritairement syriens, ou irakiens. Comment expliquer la terreur, sans parler de ces racines?
En 2003, l’armée américaine s’établit en Irak, et aide à installer un gouvernement chiite qui lui est largement rallié. Dix années de haine et de conflits séparent cette date d’aujourd’hui. Entre les deux, le gouvernement chiite et leurs alliés américains se sont aliénés une grande partie de la population, menant à la cristallisation des haines entre ethnies – de Kurdes à Arabes – et entre confessions religieuses, sunnites, chiites, chrétiens, yezidie, etc… et ouvrant la voie à la radicalisation sunnite. On a plutôt parlé de la haine de ces djihadistes envers les chrétiens, chassés de Mossoul, des kurdes, sunnites ou yezidis, contraints de fuir en Turquie, en oubliant parfois de préciser que les chiites, eux aussi musulmans, font également partie des premières victimes de l’organisation. Dépassés par les évènements, nous manquons de mots pour décrire, coincés dans le déni de Frankenstein découvrant que sa créature abominable marche, à présent, toute seule.
Ces terroristes ne viennent pas de nulle part. Ils ont une histoire, se sont formés dans un terreau propice à la haine et à la terreur. Sunnite, irakien, syrien, extrémiste, djihadiste, ils ont plusieurs noms sous ces cagoules noires. Malgré l’incroyable complexité ethno-politique de ces régions, nous devons nommer et comprendre. Et s’il serait trop facile de pointer du doigt l’ingérence du diable occidental comme seul responsable de cette naissance mal formée, il est hypocrite de crier au scandale face à cette menace venue d’Irak, pays gangréné par tous les maux imaginables; de deux guerres du Golfe, à la règle dictatoriale de plus de vingt ans de Saddam Hussein, au génocide des Kurdes en 1988, à dix ans d’embargo international, et finalement, à plus d’une décennie de chaos politique et social.
Il y a plus de 10 ans, Georges W. Bush parlait d’attaquer l’Irak pour éradiquer la menace d’Al- Quaida. A présent que Barack Obama parle de trouver un plan d’attaque pour enrayer l’EI, l’histoire semble se répéter, et la créature évolue toujours dans les ombres, bien propices à son aura de terreur.
Pour alimenter la réflexion:
“Pour la BBC, il ne faut pas qualifier de terroristes les tueurs de Charlie Hebdo”
http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/27/pour-la-bbc-il-ne-faut-pas-qualifier-de-terroristes-les-tueurs-de-charlie-hebdo
Pour faire suite à Christian.
Cet article du Courrier international est extrêmement intéressant. Sans vouloir prendre position sur le fond (“Qu’est-ce que le “terrorrisme”?”), je relève qu’il met le doigt sur un outil de manipulation capital par les médias et les politiciens, à savoir les mots. Simplement les mots-stéréotypes prêts à l’emploi pour couper court à toute réflexion critique et imposer une vision programmée de qui est le Bon (c’est toujours le même, nous, nos démocraties) et qui est le Mauvais.
Pour en revenir au concept de terrorisme, c’est un mot magique qui n’est utilisé que quand ce sont les ennemis des Bons qui agissent. Jamais quand les Bons bombardent, écrasent, torturent et napalmisent des populations de par le monde.
Quand, dans tel pays occidental, on entend aujourd’hui les dirigeants justifier par un état de “guerre” les mesures d’exception, le déploiement militaire et policier, j’ai envie de questionner: en guerre contre qui? Ces mêmes dirigeants parleront alors de terrorisme mais on ne fait pas la “guerre” indéfiniment à des ombres. En 1914, le poilu savait qui se trouvait de l’autre côté de la tranchée: le soldat d’un pays précis, l’Allemagne. Aujourd’hui, l’ennemi n’a pas de nom. Or, à un moment donné, il faut bien donner une identité à cet ennemi inclassable, insaisissable et sans visage. Sinon on tombe dans le syndrome de Münchhausen, avec le risque que le citoyen perde la notion des enjeux et qu’il banalise la “guerre”. Dans ce cas de figure, il y a en tout cas un gagnant, c’est l’industrie de l’armement.
D’accord Christian. Mais on ne vaincra pas le terrorisme avec des porte-avions et des Rafales. Nous ne sommes pas en guerre contre l’islam, mais contre des terroristes qui se réclament de l’islam. Pour les habitants de certains pays arabes, dont les gouvernements corrompus les ont spoliés et vendus, Daech représente l’espoir fou et illusoire d’une autre vie ! C’est une guerre qui durera des années.