Phénomène littéraire de masse

L’étonnant succès du livre de Baltimore de Joël Dicker m’a inspiré des commentaires que je tiens à soumettre à votre réflexion.

PAR MICHEL MORET

D’abord, j’aimerais souligner que je trouve Dicker très sympathique et qu’il possède un indéniable talent. Rendons à César ce qui est à César.

Mais l’ampleur de son succès m’interroge. « La Vérité sur l’affaire Harry Quebert » a été vendu à 3 millions d’exemplaires et a été traduit en 40 langues. Cela représente le chiffre d’affaires de l’édition romande dans son ensemble. A lui seul, il devrait toucher environ 6 millions de droits d’auteur soit davantage que tous les auteurs suisses réunis. Imaginons 600 auteurs à 5000 francs de royalties, cela représente 3 millions. Je suis optimiste car les auteurs qui touchent 5000 francs de droits ne sont pas très nombreux selon la S.S.A.

Bref, c’est ce fossé entre notre beau Joël et les autres qui m’interroge. Tout cela nécessiterait une analyse sociologique approfondie mais un tel succès n’était pas imaginable dans les années 1970-1980 où l’on lisait davantage qu’aujourd’hui. Signe des temps. Les réseaux sociaux ont transformé les citoyens en groupies, semble-t-il.

On retrouve le même phénomène en politique, puisque récemment Roger Köppel, fils spirituel de Blocher qui a fait une thèse sur Carl Schmitt (l’idéologie du « nazisme économique ») a obtenu 178000 voix aux élections nationales. Dicker a été Prince malgré lui mais il répond à une demande du public qui a perdu l’esprit critique puisqu’il préfère un livre que tout le monde lit plutôt que de chercher un talent oublié des médias. En revanche, Roger Köppel un Prince Zurichois qui s’est fait élire en connaissant tous les rouages de la société et toutes les faiblesses de notre société anxiogène. Les Suisses lecteurs et électeurs se comportent comme des pèlerins de la Mecque. Et toute l’Europe occidentale influencée par l’Amérique républicaine va dans le même sens.

Ce phénomène de massification nuit non seulement à l’esprit critique mais aussi à l’édification personnelle. Au « Etre ou ne pas être » de Hamlet, Proust répondait déjà « En être ou ne pas en être ». Cela étant dit, la question doit se poser: Où va-t-on ?

La réponse appartient aux écrivains.

L’auteur est le fondateur et le directeur des Editions de l’Aire.

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2 commmentaires à “Phénomène littéraire de masse”

  1. Didier Planche 24 octobre 2015 at 10:07 #

    Je partage pleinement ton opinion, mon cher Michel.
    La société est toujours plus moutonnière, histoire de se rassurer, avec l’avoir qui, hélas, domine l’être. Dans ces conditions, l’évolution humaine prend une direction opposée à son épanouissement réel.
    Amicalement, Didier Planche

  2. jon ferguson 26 octobre 2015 at 17:56 #

    quelque part j’ai écrit: « être ou ne pas être, tel n’est pas la question. la question est à qui vendre son âme ». today souls are sold like popcorn…

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