2015 – Année charnière

Le monde fabriqué par la caste des financiers, des politiciens et des militaires n’est pas joli. Il ressemble à un monde de brutalité et de mensonge, c’est ce qui nous parvient chaque jour par les journaux, radios et écrans.

PAR BERNARD WALTER

Et pourtant, le système craque sous toutes les coutures.

Pour le meilleur, pour le pire?

Pour une accélération des catastrophes et des guerres? Pour une fascisation de l’Occident? Ou bien pour un mouvement surgissant de toutes parts et qui annonce des temps de changement? De la naissance d’une conscience partagée que la vie doit se faire autrement? D’une génération de jeunes qui se met à apporter un vrai sang nouveau à la marche du monde?

Comment le savoir?

Je n’ai aucune réponse.

Pourtant depuis quelques mois j’ai le sentiment que cette année 2015 est une année charnière et que le monde de 2016 ne sera plus tout à fait comme avant, que 2016 va annoncer un tournant. Car continuer de la sorte, dans les inégalités et les guerres, ce n’est plus possible. Les pointes de mille icebergs commencent à se faire voir, qui vont grandir, toujours plus. Chacun de ces icebergs représente un enjeu auquel les gouvernances du système global actuel devront faire face, quelle qu’en soit leur envie. Les réponses, quelles qu’elles soient, adéquates ou catastrophiques, ne pourront que prendre le visage du changement. Et, en-bas, il y a tous ceux, toujours plus nombreux, qui pensent et agissent pour un monde différent, et eux seront toujours plus visibles et opérants.

Cette année 2015 est porteuse d’un certain nombre de signes.

Le vocable «décroissance», était quasi inexistant il y a quelques années, on le réservait à quelques esprits rêveurs, paresseux ou illuminés croyant à une utopie n’existant que dans leurs têtes, et même, à en croire quelques chantres du déni, utopie issue de «manipulations de l’extrême-gauche».

Nous avons en France quelques «philosophes» négationnistes qui se régalent de leurs anathèmes, qui savent tout, et sont bien entendu des inconditionnels du système dominant.

Philippe Val est l’un d’entre eux. De son livre «Malaise dans l’inculture», publié en avril de cette année je tire un exemple, quasi caricatural c’est vrai, de ce que peut produire une telle «pensée»:

P.158 «Les débats sur des sujets comme les OGM, le nucléaire, la recherche sur le gaz de schiste, les aéroports, n’aboutissent à rien, car le sujet n’est ni les OGM, ni le nucléaire, ni le gaz de schiste, ni les aéroports. Le sujet, c’est le refus d’une société et de ceux qui la défendent, par des gens qui considèrent comme des criminels ceux qui ne se convertissent pas à leur vision d’un monde décroissant. Et ils sont d’autant plus fanatiques de leur conception qu’ils n’y croient pas une seconde.»

Il convient de relever que M. Philippe Val est loin d’être un inconnu. Il a été durant 17 ans à la tête de “Charlie Hebdo”! Un beau sujet de réflexion!

Les propos de Philippe Val ne précèdent que de huit mois la Conférence de Paris sur le climat. Celle-ci a démontré que maintenant enfin le réchauffement climatique est perçu par les politiques et par l’information comme une réalité incontournable. Aucune des délégations des 195 pays qui y participaient ne souscrirait sans doute aux propos totalement incongrus et relevant d’une propagande d’une extrême mauvaise foi dudit Philippe Val.

Et de fait, ce mot de «décroissance» devient toujours plus présent dans notre monde. Il s’est infiltré un peu partout dans les médias et l’inconscient collectif, au point qu’il en est presque devenu un mot normal de notre langue, même s’il ne s’est pas officiellement invité à la conférence de Paris.

Bien sûr, une telle conférence est le lieu de multiples discours, effets de manche et déclarations d’intention. Il n’empêche que, quelles qu’en soient les suites immédiates, cette conférence fut l’occasion d’un rassemblement sans précédent, et un facteur énorme de sensibilisation de la population mondiale.Plus rien ne sera véritablement comme avant. Les conférences précédentes, Rio, Kyoto, Copenhague, étaient l’occasion de rassemblements mondains et plus ou moins formels qui ne concernaient pas vraiment les gens de la rue. Aujourd’hui, subitement pourrait-on dire, un palier significatif a été franchi.

Que des millions d’individus sur Terre se soient sentis concernés au fond d’eux-mêmes par l’avenir de la planète où ils vivent n’est pas anodin. Chacun est porteur de ce sentiment et à long terme, les effets s’en feront ressentir.

Il n’y a pas que cet événement qui me donne à penser que nous nous trouvons à un tournant. Un certain nombre d’autres signes, certains majeurs, me le disent, que je livre ici, sans nécessairement en faire un commentaire. Ces signes, tels qu’ils me sont apparus dans le cours de ces derniers mois, ne sont pas tous natifs de 2015, bien sûr. Mais c’est cette année qu’ils me paraissent converger, comme si lentement la fleur était sortie de son sommeil et que maintenant, quelque chose s’apprêtait à mûrir.

  • Cette guerre mondiale que les Occidentaux mènent partout où il leur plaît de la faire est maintenant importée sur notre sol. Avec de très petits moyens, et en particulier un très petit nombre d’hommes, les terroristes ou extrêmistes ou combattants, quel que soit le nom qu’on veut bien leur donner, ont porté la guerre à Paris. Et ensuite, où? Ils arrivent à perturber les plus puissants pays du monde, à semer la crainte et le doute. Et aussi à rendre actuel dans ces pays ce qui jusqu’à présent restait pour une majorité de gens une lointaine abstraction.
  • Les immigrants: c’est évidemment un phénomène d’une extraordinaire importance. Et là encore, une majorité de gens n’avaient pas pris conscience de ce que ces déplacements de population signifiaient. Maintenant, ces mouvements de population ont pris une telle ampleur qu’ils sont là, ces immigrants, chez nous, en quantité. On ne sait plus quoi faire. Ils débordent tout. Mais nous, les humanistes, nous qui sommes si civilisés, il faudra bien que nous trouvions quelque chose. En attendant qu’une certaine justice se fasse. Car ces populations qui viennent «du Sud» (les régions du monde où nous avons puisé une partie significative de nos richesses) sont actrices d’un changement du rapport Nord-Sud à venir.
  • En Palestine, les jeunes gens sont tellement désespérés qu’ils donnent leur vie pour semer la panique en Israël. Ils donnent la preuve que quelque chose doit changer et que quelque chose changera. Aucun moyen de répression ne peut venir à bout de cette résistance.
  • Aux USA, les abus policiers de caractère raciste avec morts d’homme ont perduré, la fin de la ségrégation n’y a rien changé. Eh bien maintenant, un vent de révolte souffle, ces crimes restés dans l’ombre et ignorés de la justice commencent à franchir le mur du silence, les médias ne peuvent plus les passer sous silence, les juges non plus.
  • Les élections en France risquent de produire une redonne complète du jeu politique. La progression extraordinaire du Front national, c’est l’illustration de la déconfiture de la politique traditionnelle actuelle et de tous ses défauts. Là aussi, quelque chose est nouveau, pour quel résultat, nous ne le savons pas, mais le monde politique, installé dans ses routines, ses privilèges et ses petites combines, vacille.
  • Et puis aux USA, le climat préélectoral est étonnant. Nous assistons au phénomène Sanders, quelque chose de nouveau et inattendu. Bernie Sanders est un candidat à la présidence pour 2016. Sans appuis financiers des grandes entreprises capitalistes et des lobbies principaux, ce membre du parti démocrate a fait insensiblement son chemin au point qu’il a été élu personnage de l’année, avec le double de voix sur son suivant, par les lecteurs du “Time Magazine”, consultés par le journal lui-même. Mais Time n’a tenu aucun compte de son propre sondage et a éliminé Sanders de sa liste des huit premiers «lauréats»! Que Sanders soit élu Président ou non, le résultat de ce sondage montre une profonde vague de fond que les médias dominants ont ignoré. Chez nous, à ma connaissance, l’information n’a pas été répercutée. Elle traduit pourtant, à l’instar de ce qui se passe en France, une méfiance profonde, une perte de confiance à l’égard des pratiques politiciennes.
  • A l’autre bout de l’échiquier politique américain, il y a, comme Le Pen en France, Trump, l’affreux milliardaire raciste qui fait un tabac dans les sondages du côté des républicains. Cet abandon des politiques convenues et un réel clivage entre les politiciens réactionnaires et en face de vrais politiciens de gauche, cela aussi augure sans doute de changements à venir.
  • Il y a aussi ce que nous n’imaginions pas possible: ces17 femmes élues en Arabie Saoudite!!!!!!!!!!!!!!!!! (=17 x !)… Ce que sera leur sort, nous ne le savons pas, mais un tel séisme culturel était impensable il y a peu encore.
  • La relève: je la vois un peu partout se faire. Les vieux militants des associations, détenteurs du pouvoir et du savoir, sont remplacés par une garde montante.
  • Il était temps. De plus en plus de jeunes sont activement concernés par les enjeux sociaux majeurs: économie écologique et climat. Par exemple, le nouveau secrétaire général de l’association Sortir du nucléaire, Ilias Panchard, a 23 ans! C’est un évident bon signe. Le passage entre les générations commence à mieux se faire, semble-t-il. Le post 68 est arrivé à son terme. Les anciens n’ont très souvent pas su cultiver le lien avec les jeunes générations, souvent ils ont occupé toute la place, et maintenant, une nouvelle génération arrive, motivée et intelligente, et c’est tant mieux.

Je désespérais des trentenaires il y a dix ou vingt ans. Maintenant, ce sentiment s’est modifié. Je pense que des changements profonds, pas encore visibles, sont en train de se mettre en route.

  • Le sacro-saint secret bancaire, qui a fait de la Suisse un paradis fiscal, est mis à mal.
  • Dans le domaine des confréries protégées, médecins par exemple, la parole se libère. Des médecins osent dire ou écrire leurs doutes ou critiques sur la façon dont leur discipline est enseignée ou pratiquée.
  • Chez nous, une femme courageuse a osé traîner, seule, le géant Nestlé devant la justice, après des années d’efforts. Elle accuse l’entreprise d’atteintes à la sécurité alimentaire et de harcèlement au travail. Et le grand patron de l’empire Nestlé s’est présenté au tribunal, en personne.
  • Tous événements ou situations qui portent en eux des germes de changement.

Il reste à s’organiser. Ouvrons des brèches, partout là où faire se peut. De plus en plus, c’est d’en-bas que viendront des solutions, par la pression des mouvements citoyens. Il faut que les individus se réapproprient leur vie, que les minorités de par le monde se réapproprient leur droit à exister.

2016 apportera son lot de surprises et va marquer un renouveau. Les gens du peuple en ont besoin et ils le disent. Pour quel avenir? Des bouleversements sont à prévoir, évidemment. Et peut-être plus vite qu’on ne pense. Ceci dit, tout processus de changement en profondeur prend du temps.

Alors, avec tous les gens de bonne volonté, je formule mes voeux de bonne année 2016 pour la Terre qui généreusement nous héberge.

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2 commmentaires à “2015 – Année charnière”

  1. Michelle 26 décembre 2015 at 10:12 #

    Merci pour cette recherche minutieuse afin de dénicher toutes ces étincelles d’espoir, beau message en cette période de passage à un an neuf…. Comme dit ce proverbe cher à une personne de notre entourage “on entend le bruit de l’arbre qui tombe mais pas celui de la forêt qui pousse” Merci à tous ces êtres de bonne volonté qui agissent, la plupart dans l’ombre, pour conserver l’âme du monde.

  2. Bernard Walter 31 décembre 2015 at 19:05 #

    Ah Michelle, je te reconnais bien là !
    On va se mettre tous ensemble pour changer les choses, m^eme par petits bouts.
    En attendant, bonne année à toi; bonne année à la Méduse et aux bonnes a^mes.
    Bernard

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