Lu ailleurs – Equilibriste entre les mondes, Sima Dakkus Rassoul n’est jamais retournée dans son Afghanistan natal mais y reste très attachée


Sima Dakkus Rassoul porte bien son nom.

PAR ALINE ANDREY

Des sonorités qui appellent au voyage et font penser à un oiseau aux couleurs vives chantant la vie. Dans son nid, une vue imprenable sur le lac et les toits lausannois. Des livres, de la musique, des œuvres d’art, dans un joyeux foisonnement qui dit la culture, le travail et la recherche. Celle d’une artiste touche-à-tout. A commencer par le théâtre, qu’elle a appris auprès de Benno Besson. Puis le chant, jouant des sons de ses multiples langues. Et enfin l’écriture, des chroniques dans le journal La Méduse – qui révèlent sa très belle plume – à un roman en cours… Son fil rouge: ses multiples appartenances. «Mes racines afghanes et suisses s’entrelacent comme une tresse», image Sima Dakkus Rassoul, équilibriste culturelle. «Mes racines, je les transporte avec moi, où que j’aille. C’est le propre de l’humain, à la différence des arbres…»

Née dans une famille afghane cosmopolite connue à Kaboul et loin à la ronde, elle grandit avec un père général, une mère féministe admiratrice de Gandhi, et son frère, dans une ville alors libre, où l’on écoutait Elvis Presley et Edith Piaf. «Ma mère parlait très bien français, et nous chantait des comptines», se souvient la polyglotte qui apprendra sans peine, tout comme son frère, la langue de Molière en arrivant à Lausanne en 1961. Une migration choisie par sa mère. «Je crois qu’elle voulait m’offrir la vie dont elle avait rêvé…»

Hospitalité contagieuse

Sima a 13 ans, et malgré les difficultés de l’adolescence et le déchirement d’être séparée de son père – retenu à Kaboul par son travail -, elle s’adapte facilement, se lie d’amitié surtout avec de jeunes Italiens, migrants comme elle. «On avait le même sens de l’accueil, de la communauté», se souvient-elle. «Je crois que notre hospitalité a fait qu’on a été bien accueillis», analyse celle qui était alors quelque peu inclassable. «A cette époque beaucoup de gens pensaient que l’Afghanistan se trouvait en Afrique. Mais on nous considérait comme riche, car ma mère ne travaillait pas.»

Cinq ans plus tard, sa mère, malade, décide de retourner auprès de son mari avec son fils. «Pour ma part, j’ai eu le choix. J’avais 18 ans, j’ai choisi de rester. Je ne voulais pas devoir refaire ma vie encore une fois.» Elle ne reverra jamais plus son pays d’origine.

Dans les années 1980, sa famille doit fuir, comme nombre d’Afghans. Son frère trouve asile en Allemagne. Ses parents, en France. «C’est l’un des moments les plus durs de ma vie. A cette période, je me lançais dans le théâtre, je travaillais beaucoup – comme toujours -, et j’étais tiraillée entre ma vie et mon soutien à ma famille entre l’Allemagne et la France… J’ai dû réfléchir sur mon identité profonde, mon sentiment de culpabilité de vivre en Suisse, dans un lieu protégé, alors que mon pays était en guerre. J’ai alors découvert que l’Afghanistan était fortement présent en moi. Puis, après le 11 septembre, j’ai eu besoin de chanter dans ma langue maternelle, tout en l’entourant d’autres cultures, sans folklore.»

Femme-orchestre

Tour à tour enseignante, conseillère culturelle, metteur en scène, chanteuse, écrivain, la femme-orchestre crée Xannda théâtre en 1989, mais estime n’avoir jamais su s’autopromotionner. «J’ai toujours mis le projet en avant, pas mon ego. Ce qui fait de moi quelqu’un d’assez inadapté en ce monde», sourit-elle. «Aujourd’hui, il est de bon ton de montrer son nombril. Ce que je trouve inintéressant. L’art est devenu un commerce, alors qu’il devrait être une voie royale pour nous ouvrir sur le monde. Sans spiritualité, il n’y a pas d’art. Or nous vivons dans un monde qui a perdu le sens du sacré. Je ne parle pas de religion bien sûr. A 7 ans, j’ai dit à mon père que je ne croyais plus en Dieu. Il m’a simplement dit qu’il espérait que je change d’avis…»

Sima Dakkus Rassoul parle avec calme, sans animosité, malgré sa critique radicale de la société. «Ce qui peut me mettre dans une colère folle, c’est ce qu’on fait subir aux enfants dans les guerres… Je crois que la colère, il faut la laisser sortir, puis essayer de la transformer en quelque chose d’utile. Je lutte contre les choses qui m’agacent ou me révoltent, mais avec amour, sinon je ne vois pas le sens d’être sur cette terre. Je ne peux pas imaginer vivre sans aimer ce qui m’entoure.»

Sa sensibilité sociale et écologique l’a amenée à s’engager chez Les Verts. Dans ses chroniques afghanes pour La Méduse, dont elle est la rédactrice en chef adjointe, elle dénonce l’horreur. «L’Afghanistan, terrain de jeu stratégique des puissances mondiales, est en guerre depuis 40 ans. Mais je garde espoir, car les journalistes y font un travail formidable, et les femmes sont de véritables héroïnes. Ça va prendre du temps, mais je reste positive.» Après presque 60 ans loin de sa terre natale, elle rêve d’y retourner un jour, pour chanter.

L’Evénement syndical

 

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