Le succès serait-il le fruit du péché?


Ici Londres… John Authers tient deux chroniques dans le “Financial Times”.

PAR PIERRE ROCHAT

L’une est «The Long View» et l’autre s’intitule «Smart Money». Leur auteur est un journaliste et économiste de grande classe qui a l’art de mettre les choses en perspective et le bon goût de les voir avec recul. Il écrit simplement, inspiré du vers de Boileau «ce qui se conçoit bien, s’exprime clairement et les mots pour le dire viennent aisément».

Lundi 23 avril 2018, John Authers relevait dans «Smart Money» que le péché («sin» dans son texte, mais peut-être que le mot drame serait plus approprié en français) est une constante dans le succès économique. Et il prend à témoin le cigarettier Philip Morris dont le cours du titre est monté pendant des décennies parallèlement au taux d’empoisonnement de la population. 

Cette observation a piqué ma curiosité et a ouvert une boîte de Pandore qui m’a poussé à étendre l’observation de ce brillant esprit à d’autres cas patents. Prenez, au hasard, Coca Cola, un succès planétaire fondé sur un produit nuisible au plan de la santé, la Coccinelle de Volkswagen qui a conquis le monde en dépit de son origine nazie, De Beers, la riche compagnie diamantaire qui jouait sans scrupule la vie de ses mineurs pour quelques kilos de vanité, Monsanto qui a fait de son désherbant Round Up un leader mondial quoique hautement toxique, BASF, Dow Chemical et les autres dont le plastique finit par submerger les mers, ou la reine de Wall Street, Goldman Sachs, qui s’est construite sur la spéculation sans grande valeur ajoutée hormis pour elle-même. Pour clore ce funeste inventaire – non exhaustif malheureusement – sur une note cocasse, rappelons-nous du succès incompréhensible que fut le Beaujolais Nouveau, cette innommable boisson à l’arôme de banane que l’on attendait en grande pompe un jour J d’octobre de New York à Tokyo!

La morale de cette histoire est que la vertu ne semble pas nécessaire au succès. Mes principes chrétiens voleraient-ils en éclat? Le péché pourrait donc mener au succès… Certes, mais pas à un succès durable, me dis-je pour me rassurer. Rares sont les entreprises qui ont en effet plus de deux siècles d’existence. Ce qui est troublant, c’est que les entreprises vertueuses ne semblent pas avoir une longévité supérieure à celles qui sont toxiques. Il n’y aurait donc pas de sélection naturelle par la morale – définie comme la propension à faire le bien.  

Il faut croire que la marche de l’humanité vers plus de bien passe par le mal. C’est comme au Monopoly, on doit passer par la case prison.

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