L’Afghanistan dans le miroir de ses médias – Elections à risque


On est en période électorale dans le pays. La particularité de ces élections est qu’elles arrivent avec un retard considérable. À la fin des présidentielles de 2014 un accord de gouvernement d’unité nationale a été signé, parrainé par John Kerry. Les scores réels en sont restés flous et le demeurent. 

PAR SIMA DAKKUS RASSOUL

Suite aux années talibanes – 1994-1997 – les Accords de Bonn du 5 décembre 2001, intitulés officiellement Accord sur des arrangements temporaires en Afghanistan en attendant le rétablissement des établissements permanents de gouvernement sont intervenus en présence de représentants afghans de plusieurs groupes, les réfugiés au Pakistan, Iran et l’Alliance du Nord ainsi que l’ancien roi Zaher Shah dont le règne s’était terminé en 1973, renversé par Mohamad Daoud qui a fait du pays une République.

Cadre légal et réalité

La Constitution de l’Afghanistan stipule l’égalité de tous les Afghans et Afghanes et son article 34 affirme la liberté d’expression et de la presse. De fait, les nombreux médias afghans luttent pour conserver ce droit, aidés par les personnalités de partis et tendances, hommes et femmes, qui, jeunes émules d’Université, professeurs, écrivains, spécialistes, n’hésitent pas à mettre leur vie en jeu pour émettre des opinions critiques et en débattre en public. Une pluralité qui montre la conscience de la situation des intellectuels et de la société afghane. Cependant dans cette même société, tous ne défendent pas les intérêts du pays. Les frontières poreuses de l’Afghanistan et sa gouvernance faible, les pays voisins qui aident les insurgés, eux-mêmes soutenus dans l’ombre par la Russie, l’Occident, la Chine, l’Arabie saoudite, pour ne citer que quelques-uns, ne facilitent pas l’identification des forces de la terreur et leur provenance. La situation géostratégique de l’Afghanistan en fait un nid d’espions issus de tous les pays du monde.

Alors que l’Afghanistan est au bord d’une grave crise à l’issue des élections de 2014, John Kerry a parrainé un accord qui a formalisé la présidence de la République afghane et l’exécutif, la direction du gouvernement avec une sorte de cahier des charges de changements à apporter.  Mais les corrections majeures annoncées n’ont pas été opérées.  Il s’agissait de régler son compte à la corruption, édicter les lois prévues par la Constitution afghane, reconstruire un paysage politique démocratique et un renouvellement et un assainissement économique. Ainsi, plusieurs années plus tard, le cabinet n’est pas encore totalement constitué alors que l’an prochain les nouvelles élections présidentielles se profilent peu après les parlementaires.

La sécurité est dangereusement faible, la situation économique annonce un recul avec le chômage accru, le seuil de pauvreté a grimpé, le manque de projets de politique intérieure montre des résultats économiques alarmants avec une politique extérieure variant au gré des positions américaines. Bref, le pays affiche un bilan peu encourageant et la confiance des populations est de plus en plus ébranlée face au gouvernement.

Élections 2018

Les élections parlementaires accusent un retard de plus de deux ans. Le parlement continue cependant son travail. L’insécurité sévit à Kaboul et dans les provinces de toutes les régions. Certains districts tombent aux mains des talibans. Dans d’autres, les talibans représentent une sorte de filière parallèle qui rend la justice et même prélève des taxes. Les pertes des civils secouent le pays chaque jour. En ce mois de ramadan, les talibans, Daech et autres groupes portent leurs attaques jusqu’aux portes du Ministère de l’intérieur. Ils passent sous le nez des forces de l’ordre. Comment ces talibans ou Daech arrivent-ils à passer entre les mailles du filet de la sécurité ?

L’insécurité de certaines régions ne permet pas l’ouverture des bureaux d’inscription. À Kaboul même, les forces qui sèment la terreur ont été à la source de plusieurs attentats suicide. Des personnes venues s’inscrire en vue des élections ont été victimes. La violence s’accentue pour dissuader la population de prendre part aux élections à venir. De son côté, le gouvernement bicéphale incite les citoyens à s’inscrire en vue des élections. La population est prise en otage, tiraillée entre son désir de changement par les élections et la situation du pays.

Tous les avis convergent pour prévoir une situation grave si ce cadre légal, même branlant, des élections est brisé. Car avec un parlement non réélu à temps, que seront les futures élections présidentielles ? Et, par conséquent, un gouvernement non réélu, si ces élections ne suivent pas. Ou encore, si elles se déroulent dans les irrégularités qui entachent encore le pouvoir actuel, affaibliront son lien avec la population sous les feux de l’insécurité et de la cruauté.

Autre question lancinante pour le pays profond depuis plusieurs années, qu’advient-il de l’accord signé par le président afghan actuel – son premier geste – avec les États-Unis sous Obama qui établit la présence américaine dans le pays jusqu’en 2024 ? Pourquoi les troupes américaines et les forces de l’OTAN ne peuvent-ils aider à la prévention de ces attentats meurtriers qui depuis des années finissent en commissions afghanes d’investigation et dont les résultats ne sont jamais communiqués aux médias, ni à la population ? Pourquoi dès lors, les forces américaines à Kaboul dénoncent-ils la corruption au lieu d’aider le gouvernement à prendre des mesures ? Pourquoi les groupes semant la terreur sont-ils mieux équipés que les soldats afghans ?

Ambiguïté

Dans cette périlleuse situation, les médias paraissent des remparts fragiles, mais résistants de la démocratie. Ils ont eu droit à un attentat spécial qui les a atteints en pleine enquête sur une attaque qui venait d’avoir lieu. Huit d’entre eux ont perdu la vie. Ils continuent à diffuser les faits et, au-delà, offrent des débats de fond ou des interrogations spécifiques. Même si selon l’opinion très majoritaire émise sur les plateaux, le projet  serait que les puissances et voisins intéressés ne souhaitent pas l’arrêt de la guerre en Afghanistan. Cet engrenage qui se nourrit du profit des autres met sur la paille une population estimée à 30 millions. Qui a dit que l’ère du sacrifice humain était un rituel terminé ? Le Général Nicholson, encore en poste comme responsable des troupes américaines, ainsi que l’ONU accusent l’Afghanistan d’être un pays de contrebande d’êtres humains en relation avec les mafias internationales. Ce nouveau commerce est le miroir de l’état du monde où les démunis n’ont plus que leur vie à offrir. Un pays bouc émissaire arrangerait-il les affaires de tous les côtés des frontières ?

Les agents de cette guerre influent impitoyablement sur la situation de ce pays et ses habitants. Quoi de mieux que de les mettre à terre et se servir de ses ressources. Les talibans et Daech ferment les écoles, les détruisent. Empêchent les femmes de sortir de la maison, d’aller dans les écoles où ce sont les hommes qui enseignent. Dans certaines provinces où ils sont intégrés à la population, avec l’aide des « amis » du pays, ils construisent des madrassa et infiltrent les enfants, si fragiles, orphelins souvent, avec des idées de violence et de haine. Pour quelle stratégie à long terme ? Et pour quels intérêts ?

Rien n’arrête le désir d’apprendre.

Photo 1TVAfghanistan

Et maintenant ?

Trois millions d’enfants afghans, garçons et filles, n’ont pas la possibilité d’accéder à l’école. Deux tiers d’entre eux sont les femmes. Parce que les routes ne sont pas sûres, parce qu’il n’y a pas d’école en dur, parce qu’il n’y a pas suffisamment d’enseignants, hommes et femmes, parce qu’ils doivent travailler dur pour aider économiquement leurs familles.

Mais, de plus en plus, les Afghans et Afghanes s’informent, ont étudié, réfléchi à leur propre histoire, critiquent sans voile les amitiés particulières des forces étrangères présentes directement ou en profil bas. Mais, et cela peut tout changer, ils font une autocritique qui en passant dans les actes pourrait créer une unité politiquement consciente et efficace. Ne fussent les interventions allant dans le sens contraire des intérêts du pays. Quel est le coût réel des aides pour le pays en termes de dépendance économique et politique ?

 

 

 

 

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