Espionnage, le chat avec un grelot


C’est le dernier scoop du site anglais d’investigation Bellingcat et de son partenaire russe The Insider : l’homme qui a essayé d’empoisonner un ancien espion russe réfugié en Grande-Bretagne serait un colonel du renseignement militaire russe, le GRU. 

PAR MARC SCHINDLER

Belling the Cat, c’est une fable d’Esope : dans l’  «Assemblée des souris», un rongeur propose d’attacher au cou du chat un grelot dont le tintement les avertirait de l’arrivée du prédateur.  Eliot Higgins, le fondateur du site Bellingcat a expliqué l’origine de son site de vérification des informations et de journalisme d’investigation : les chats, ce sont les gouvernements. Le grelot, c’est Bellingcat.

L’affaire Skripal avait provoqué un scandale à Londres, quand la police avait découvert, le 4 mars, à Salisbury l’ex-colonel russe Skripal et sa fille inconscients dans un parc. Scotland Yard avait conclu qu’ils avaient été empoisonnés par un agent toxique, le Novichok, fabriqué du temps de l’URSS. Des cameras de surveillance avaient montré deux citoyens russes visitant Salisbury. La Première ministre Theresa May avait accusé les services secrets russes et avait expulsé des diplomates. Evidemment, Moscou avait protesté et la TV Russia Today avait diffusé une incroyable interview des deux Russes présentés comme des touristes. Poutine lui-même avait assuré que les deux hommes étaient des hommes d’affaires.

Ce que révèle Bellingcat, c’est l’identité d’un des Russes : le colonel Anatoly Chepiga, officier du GRU, vétéran des forces spéciales en Tchétchénie et décoré de l’ordre de Héros de la Russie pour son action en Ukraine. En un mois, les experts de Bellingcat ont analysé des centaines de documents trouvés sur Internet, ils ont fouillé des bases de données sur les passeports russes et ils ont interrogés leurs contacts russes. Selon Bellingcat, les noms figurant sur les passeports russes sont faux et les numéros correspondent à des agents du renseignement militaire. Leurs photos sont celles d’officiers d’une académie militaire dans l’est de la Russie. 

Ces informations sensationnelles ont fait la Une de la presse mondiale, du New York Times, au Guardian, en passant par Le Monde, la BBC et Le Temps. C’est que Bellingcat est devenue une source d’information reconnue depuis que son fondateur, Eliot Higgins, avait révélé en 2012, que Bachir El Assad utilisait des armes chimiques  contre les rebelles syriens. C’est lui aussi qui avait révélé, en 2014, que l’avion de la Maylaysian Airlines avec 298 passagers avait été abattu par un missile russe tiré par une milice en Ukraine. Bien entendu, la Russie avait protesté avec énergie et avait accusé Bellingcat de mensonges. 

Bellingcat est un site d’investigation à l’aide d’informations de sources ouvertes (photos, cartes, videos) et des réseaux sociaux. Il a été créé en 2014 par un blogueur britannique, Eliot Higgins qui a commencé par suivre plus de 450 chaînes Youtube à la recherche d’images. Il a utilisé la géolocalisation pour repérer des armes chimiques en Syrie ou l’engagement militaire de la Russie en Ukraine. Il traque les données disponibles sur Internet, en particulier sur les réseaux sociaux « pour reconstituer la vérité des faits ». Son équipe d’enquêteurs comprend des analystes des conflits, des spécialistes de la défense, des experts en technologie, des journalistes et des chercheurs en sciences. Bellingcat organise des séminaires de formation aux Etats-Unis et en Europe pour enseigner ses outils et ses méthodes d’investigation. 

Bellingcat est attaqué par des journalistes et des analystes qui l’accusent d’être le bras armé des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans la lutte contre le terrorisme et d’être financé par des fondations proches des services de renseignements occidentaux. L’un des plus virulents adversaires de Bellingcat est un analyste français, Edouard Vuiart. il a collecté les articles élogieux de la presse mondiale sur Bellingcat et sa condamnation est sans appel sur son blog www.les-crises.fr : « Un chevalier blanc, blogueur britannique au chômage et expert en rien ridiculise les gouvernements, les agences de renseignement et les commissions d’enquête du monde entier grâce à… Facebook, Twitter, Google Earth et Google Street ; des outils dont personne n’avait pu soupçonner l’utilité jusqu’alors. Et face aux succès de ce « journaliste citoyen » qui lutte dans son salon contre la propagande, les grands médias ont naturellement soutenu l’action de celui qui est sans conteste « l’avenir du journalisme ».

Comme l’écrivait Oscar Wilde   : « La vérité pure et simple est très rarement pure et jamais simple ».

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