La CEDH est sauve, les droits populaires aussi


L’échec de l’initiative «pour l’autodétermination» ne peut que nous réjouir. Pourtant l’importance des enjeux – protection des droits fondamentaux, respect des principes de l’Etat de droit et des engagements internationaux – aurait justifié un score plus net encore que les 66% de refus enregistrés.

Malgré les dénégations de l’UDC, son initiative devait conduire à l’affaiblissement de la protection des droits fondamentaux. Rappelons la déclaration de Toni Brunner, alors président du parti, en 2013: «Nous étudions une initiative pour la dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme» (CEDH). Le camouflage progressif auquel se sont livrés les initiants n’y change rien.

D’abord «Le droit suisse au lieu des juges étrangers», puis «Le droit national avant le droit international», ensuite l’autodétermination et finalement une campagne centrée sur la défense de la démocratie directe, autant de déguisements pour cacher la véritable cible. Le catalogue des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale rendrait superflue l’intervention des juges de Strasbourg, n’ont cessé de prétendre les tenants de l’initiative. Une affirmation erronée, bien sûr, puisque la Suisse ne connaît pas de contrôle de constitutionnalité, un contrôle auquel d’ailleurs l’UDC s’est toujours opposée. Sans CEDH, pas de garantie des droits fondamentaux face à des actes du Parlement ou du constituant.

On se souvient du jugement qui a fait déborder le vase pour l’UDC. En 2012, les juges de Mon-Repos cassent la décision d’expulsion d’un étranger établi en Suisse dès son plus jeune âge, coupable d’un délit de drogue et condamné avec sursis. Si l’expulsion était conforme à l’article 121 de la Constitution fédérale adopté en votation populaire en novembre 2010, selon le Tribunal fédéral elle contrevenait en revanche au principe de proportionnalité ancré tant dans le droit suisse que dans la CEDH. L’autodétermination version UDC fait donc peu de cas d’un principe fondamental de l’Etat de droit, tout comme de celui de la séparation des pouvoirs.

L’initiative de l’UDC aurait soumis nos engagements internationaux à la volonté discrétionnaire d’un vote populaire. Non pas que ces engagements ne puissent être dénoncés: la Suisse peut se retirer d’un traité, mais la question doit alors être clairement exprimée. C’est la question que l’UDC veut soumettre prochainement au souverain au sujet de la libre circulation. Mais l’initiative d’autodétermination, elle, ne jouait pas franc jeu. Elle aurait permis de remettre en cause nos engagements par la bande, en autorisant la Suisse à ne pas respecter telle ou telle disposition d’un traité: un engagement à la carte en quelque sorte, qui aurait gravement écorné la crédibilité de la Suisse auprès de ses partenaires.

Pourtant un tiers de l’électorat n’a pas perçu ces enjeux ou a fait délibérément l’impasse sur des principes fondateurs d’une société démocratique. C’est bien le signe que l’exercice de la démocratie directe est plus délicat dès lors qu’un objet entre en conflit avec un accord international dont la Suisse est partie.

Dans ce cas de figure, le citoyen est rarement au clair sur les conséquences de son choix. Prenons l’exemple de l’initiative «contre l’immigration de masse». Avant la votation, le Conseil fédéral a défendu le point de vue que l’acceptation de cette initiative conduirait à la dénonciation de l’Accord sur la libre circulation des personnes. L’UDC prétendait le contraire. L’initiative adoptée, l’UDC défendit la nécessité de dénoncer l’Accord, alors que le gouvernement n’y vit soudain plus motif d’une rupture… Bref une situation qui ne permet pas un choix éclairé de la part du citoyen.

En cas d’acceptation d’une initiative problématique, les autorités s’en sortent en procédant à une mise en œuvre partielle, de manière à respecter nos engagements internationaux. Ainsi les contingents stipulés par l’initiative «contre l’immigration de masse» sont devenus une simple priorité d’embauche pour les résidents helvétiques. Cette démarche pragmatique peut passer pour une trahison de la volonté populaire. Pour autant qu’on puisse parler de volonté populaire quand les citoyens ne se prononcent pas en connaissance de cause, trompés qu’ils sont par des textes volontairement équivoques.

L’invalidation par le Parlement des initiatives considérées comme contraires au droit international permettrait d’éviter cet écueil. Mais elle serait plus mal perçue encore.

Le moyen d’éviter la mise en œuvre délibérément partielle des initiatives problématiques existe pourtant: il consiste pour les initiants à formuler des demandes claires, aussi bien quant à l’objet qu’à ses conséquences.

Jean-Daniel Delley / Domaine Public

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