Les deux poids, deux mesures de Credit Suisse


La Suisse a beau jeu de rappeler infatigablement sa neutralité. Ainsi elle maintient ses bonnes relations avec l’Iran, malgré l’embargo décrété par les Etats-Unis. Par contre ses banques, sociétés d’assurance et autres grandes entreprises ont prestement retiré leurs billes de la République islamique. Ne pas respecter les sanctions américaines, c’est courir le risque de se voir bannies du marché américain.

Les banques suisses ont interrompu tout trafic des paiements avec Cuba et le Venezuela. Or notre pays n’a décidé d’aucune sanction à l’encontre de Cuba. Et l’embargo décrété par l’Union européenne contre le Venezuela, auquel s’est rallié notre pays, ne vise de loin pas toutes les opérations financières. Dans ces deux cas également, la politique américaine dicte la conduite de l’économie helvétique.

Le dernier exemple en date, le plus caricatural, nous est livré par Credit Suisse. La banque refuse de créditer le compte de CAB, une société de production cinématographique, qui vient de recevoir une subvention de 18’000 francs de la part de Cinéforom, la fondation romande pour le cinéma. Ce montant doit contribuer au budget d’un projet de documentaire sur une chanteuse qui vient en aide aux jeunes d’Alep. Credit Suisse ne ferait que se conformer aux sanctions internationales contre la Syrie.

Par contre, en l’absence du gendarme américain, toutes les libertés semblent permises avec les règles nationales comme internationales, ainsi que les procédures de contrôle internes à l’entreprise. On se souvient de l’important crédit octroyé au Mozambique par Credit Suisse Londres et une banque russe (DP 2145) pour financer prétendument une flotte de pêche et une escadre de garde-côtes.

La banque n’a pas vérifié le bien-fondé de l’affectation de ce crédit, pas plus que le respect des procédures légales internes au pays: une partie substantielle du crédit a disparu dans les profondeurs de la corruption et les autorités locales compétentes pour approuver cet emprunt ont été tenues à l’écart. Des cadres britanniques de Credit Suisse ont touché des commissions exorbitantes et sont poursuivis pour corruption par la justice américaine. Le Mozambique est en cessation de paiement et privé de l’aide de la Banque mondiale et des pays donateurs, dont la Suisse.

De ce gâchis, la direction de Credit Suisse n’a longtemps rien voulu savoir. Pressée de toutes parts, elle admet enfin n’avoir pas été au courant de cette transaction. Prêter un milliard de dollars sans garantie et sans examen du sérieux des bénéficiaires ne semble pas faire problème. Un prêt d’une telle importance pourrait même se faire sans que la direction générale soit au courant.

Alors qu’une transaction de 18’000 francs pour financer un film traitant de la Syrie ne passe pas. La prudence de la banque se mesure à la probabilité de sanctions américaines.

Jean-Daniel Delley

Domaine Public

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