Dans un livre, l’historien du patrimoine Paul Bissegger rend hommage à Adrien Pichard


Il a sa rue (modeste) à Lausanne. Mais qui, aujourd’hui, se souvient d’Adrien Pichard ? Et pourtant la topographie et la physionomie de la ville lui doivent beaucoup, notamment pour ses voies de circulation: la “ceinture Pichard”, grand projet urbanistique qui passe par le Tunnel de la Barre, est encore en service aujourd’hui, et le Grand-Pont fut longtemps désigné comme “Pont Pichard”. La Bibliothèque historique vaudoise vient de publier, sur la trajectoire exceptionnelle de cette figure héroïque de la modernisation du canton, une véritable somme, que les connaisseurs attendaient avec impatience.  

Paul Bissegger est assurément l’un des meilleurs historiens de notre patrimoine. Il est l’auteur de deux des fameux “volumes noirs” de la collection éditée par la Société d’Histoire de l’art en Suisse” (Morges et Rolle), mais aussi de monographies savantes sur des monuments comme la Villa Gordanne à Perroy ou le Château de Vinci, ainsi que sur des architectes, Alexandre et Henri Perregaux par exemple. On lui doit également de nombreux articles et brochures sur divers sites, ainsi que sur les techniques et matériaux de construction. Nul n’était donc mieux qualifié pour  entreprendre  pareille synthèse, dont l’intérêt dépasse la seule personnalité de  Pichard, et l’on ne s’étonnera donc pas d’apprendre que le chercheur y travaillait depuis des années.

Né à Lausanne, formé à Polytechnique à Paris,  élève du célèbre architecte J.N.L. Durand, actif dans la Picardie, la Belgique et le Languedoc avant de rentrer au  pays en 1818, Pichard fut le premier ingénieur cantonal vaudois. Inspecteur, administrateur, conservateur des bâtiments, ce bourreau de travail est mort à 51 ans, et l’on reste confondu devant ce bilan d’une activité aussi soutenue. Innombrables furent ses interventions dans tout le canton sur diverses infrastructures, réseaux routiers ou hydrauliques, corrections des eaux, rivières et lacs. Et si les principales constructions du bâtisseur ont disparu, comme sa propre maison  ou la douane de l’Arzillier, il nous reste le beau pont d’Orbe ou le temple de La Chaux à Sainte-Croix par exemple, et  les documents retrouvés par Bissegger témoignent de l’envergure du personnage. C’est ainsi que le  pénitencier de Béthusy, disparu pour faire place au Collège, répondait alors aux idées les plus avancées de l’époque par sa conception en panoptikon

Le chapitre sur le Grand-Pont est des plus intéressants. II relate en détail les tribulations, tant techniques que politiques, de la construction de cette sorte de  Pont-du-Gard à la vaudoise, chef d’œuvre bientôt à moitié enterré par le comblement du vallon du Flon. On trouvera ici un savoureux pastiche à la manière de François Villon, une “Bien triste ballade” dénonçant les “mutilations” que le “gros Simon” [municipal lausannois, alors directeur des travaux] infligea à l’ouvrage. Ce document,  publié en 1933 dans la Tribune de Lausanne, montre que le journaux étaient alors plus impertinents qu’aujourd’hui …

Architecte, ingénieur des ponts et chaussées, planificateur, Pichard est aussi philosophe à ses heures, comme le rappelle le titre bien trouvé du livre de Bissegger,  Ponts et pensées. Un chapitre entier est consacré aux écrits du théoricien, situés ici dans le contexte du saint-simonisme et la proximité d’auteurs comme Prosper Enfantin, avec qui Pichard correspondit, Victor Cousin, qu’il rencontra, ou Auguste Comte. Un autre chapitre rappelle les intérêts scientifiques  de l’homme et de son intérêt pour la  vulgarisation.

Enrichi par une perspective socio-professionnelle très actuelle, ouvert à la fois sur les questions techniques et et esthétiques, nourri par des années de prospection dans les archives, l’ouvrage abonde en informations de première main. On ne saurait résumer en quelques lignes ses 768 pages, mais il ne faudrait pas se laisser effrayer par les dimensions encyclopédiques du volume, dont la consultation est facilitée par une table des matières détaillée et un copieux index de 14 pages ! 334 illustrations accompagnent sa lecture, rendue agréable par la clarté et l’élégance de l’écriture. La biographie étant un genre qui revient en faveur de nos jours, gageons que ce portrait sympathique mais sans complaisance ni concessions, qui rend justice à un grand serviteur de l’Etat, trouvera ses lecteurs. Voilà un livre qui devrait figurer dans la bibliothèque de toute personne attachée à notre patrimoine et intéressée par son histoire.

Philippe Junod

Paul Bissegger, Ponts et pensées. Adrien Pichard, 1790-1841. En souscription jusqu’au 30 septembre

Photo PJ: Arche du Grand-Pont

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