Les vaches et moi


La vie dans un village peut être calme et paisible à condition que la bêtise humaine ne s’en mêle pas. Les choses se corsent quand des citadins décident de s’y installer. Les gens de la ville n’ont pas la même approche du monde rural. Ce qu’ils désirent avant tout, c’est d’imposer leurs lois.

Ainsi, lorsque je me suis installée dans un tout petit village situé sur les hauteurs de Morges, j’avais rendez-vous deux fois par jour avec les vaches. Elles passaient devant chez moi, matin et soir. Et moi, je les attendais devant mon portail. Je n’avais pas besoin de regarder l’heure afin de ne pas rater le spectacle. Le son des cloches me prévenait de leur approche. Pleine d’émotion, j’admirais le cortège de ces dames qui me gratifiaient en passant de chaleureux «meuh meuh».

Et puis un soir, on sonna à ma porte. Un de mes nouveaux voisins me présenta une pétition à signer afin que l’on enlève aux vaches leur collier de cloche. Le motif évoqué était que les cloches perturbaient leur quiétude. Bien évidemment, j’ai refusé net de la signer. Malheureusement, les nouveaux habitants du village venant des villes ont eu gain de cause. A partir de ce jour là, pour être fidèle au rendez-vous, et avoir le bonheur de voir le troupeau, je fus obligée de mettre une alarme sur mon téléphone portable. Mais, la magie s’était envolée avec les cloches. Mes amies les vaches défilaient en silence devant moi. On entendait plus que le bruit de leurs sabots sur le bitume. C’était sinistre. Je leur trouvais l’air triste. C’est comme si l’on célébrait une fête sans musique.

Puis, comme si cela ne suffisait pas, les mêmes anciens citadins firent circuler une deuxième pétition, ils exigeaient que les vaches restent dans le pré du printemps à l’automne et que le paysan fasse les traites journalières sur le lieu de pâturage. La raison évoquée était tout simplement stupéfiante, ces citadins se plaignaient du fait que les vaches déféquaient sur la chaussée et par conséquent salissaient les carrosseries de leurs si chères et belles voitures. Une fois de plus, ils eurent gain de cause et le paysan fut obligé de construire sur son champ une station de traite.

Et depuis ce jour, mes amies les vaches dorment à la belle étoile, leur propriétaire est obligé de prendre un gros camion deux fois par jour pour aller les traire. Moi, j’aimais bien entendre le son des cloches, sorte de concert qui m’était offert deux fois par jour et dont je suis privée aujourd’hui. J’espère qu’un jour, ces gens-là ne déposeront pas de pétition contre le chant des oiseaux qui sont très nombreux dans ma région et qui s’en donnent à cœur joie de l’aube au crépuscule, et du printemps à l’automne. Dans la vie, faut savoir ce que l’on veut. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière en prime!

Emilie Salamin-Amar

Publié dans l’Essor

Photo le Médusé

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