Le couvre-feu fera-t-il oublier aux Chiliens leur révolution? Le président pourrait bien se tromper!


Oui, en cette nuit du 18 au 19 mars 2020, je vis de ma terrasse quelque chose d’irréel. Du jamais vécu à Lima, une ville de plus de 9 millions d’habitants: le monde du silence. Plus aucune voiture, plus aucun bus. Plus de klaxon. Pas une ombre, si ce n’est celle des arbres de mon parc, qui se meuvent en fonction des coups d’air qui me viennent de l’Océan  voisin…  

Le gouvernement péruvien a encore durci les mesures dans sa lutte contre la pandémie du coronavirus, en décrétant un couvre-feu qui a pris effet ce mercredi 18 mars, entre 20 heures et 5 heures du matin. Dès jeudi, plus aucune voiture particulière ne pourra circuler. L’armée sera, elle, en renfort. Pour surveiller le tout, et réprimer si nécessaire.

Au moment où les nouveaux congressistes prennent place sur le siège qui sera le leur pendant un peu plus de 12 mois, les voix déjà inexistantes de l’opposition ne se font guère entendre, à peine quelques médias, pour dénoncer les graves lacunes et manquements de l’Etat pour protéger la population la moins favorisée en cette période de difficultés. Des districts entiers, où les gens sont soumis à l’isolement, au confinement domiciliaire, sont privés d’eau potable depuis 3 jours déjà. 

Le président Vizcarra gouverne par décret. Il est cependant loin de maîtriser les énormes problèmes sociaux que créent cette situation. Des centaines et des centaines de personnes sont bloquées ici et là dans différentes villes du pays, sans ressources, sans aucun moyen à disposition pour rejoindre leurs lieux de résidence. Nombre d’entre eux, en voyage pour diverses raisons dans le pays, bloqués d’une heure à l’autre par les décisions gouvernementales, se retrouvent aujourd’hui sans moyens financiers pour trouver un hébergement et de quoi se nourrir durant cet état d’urgence supposément appelé à prendre fin à la fin du mois de mars.

Même chaos dans les principaux aéroports du pays avec des centaines de passagers laissés à leurs propre sort. « Les Péruviens veulent bien accepter cette quarantaine mais aucune norme établissant comment transiter dans le pays n’a été édictée par le président, s’insurge la présentatrice de « Sin Guion ». Le monde du travail nage en pleine confusion ». 

En dépit des promesses présidentielles d’une surveillance des prix à la consommation des biens de premières nécessités, les prix dans certains commerces sont montés en flèche. Jusqu’à 100%, constatent ici et là des journalistes, qui dénoncent ainsi l’impunité dont jouissent les spéculateurs de bas étage.

Un peu partout en Amérique latine, des dispositions sont prises. Y compris et surtout au Chili, pays voisin qui vit depuis novembre 2019 une contestation sociale violemment réprimée par l’armée. Depuis, tortures, viols de femmes par les hommes des forces miliaires et de la police, ainsi que de nombreux assassinats font revivre au peuple chilien les terribles heures de la dictature Pinochet.

Sans aller jusqu’à écrire que le coronavirus tombe à pic pour le pouvoir, force est de constater que le président Piñera, au bas de l’échelle en termes d’opinions favorables, n’a pas hésité à se saisir de ce malheur pour décréter ce mercredi l’état d’exception, doublé d’un couvre-feu. Qui donne pratiquement aux forces armées les pleins pouvoirs, y compris ceux de veiller sur l’ordre public sur l’ensemble du territoire.

Désormais, les réunions dans les espaces publics seront plus que limitées. Autrement dit, les droits sont suspendus pour une période de 3 mois. Le référendum sur la réforme de la Constitution qui date de l’époque de la dictature est repoussé. Trois mois… Le temps qu’estime le président Piñera pour faire oublier au peuple chilien sa révolution? Gageons qu’il pourrait bien se tromper!

Pierre Rottet, Lima

Tags: , , , , , , ,

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.