La crise économique qui vient


PAR BERNARD ANTOINE ROUFFAER

Notre système économique, en Europe, en Asie, en Amérique du Nord, repose sur les échanges, les flux de personnes, de capitaux, de marchandises. Les individus font circuler l’argent, circulent eux-mêmes, mènent leurs affaires, en font faire à d’autres. Bloquer ces flux revient à asphyxier le système économique.

C’est ce que les gouvernements de nombreux pays du monde ont décidé de faire afin d’entraver la circulation du SARS-CoV-2. Le confinement est une mesure de fortune, un peu désespérée, qui ne donne de résultat que momentanément. Mais, devant l’impréparation, devant l’imprévoyance, devant l’irresponsabilité, il ne restait plus que cela. Comme en Chine, mais après avoir gaspillé un délai d’alerte de plus d’un mois. 

Ce qui ne sera pas momentané, par contre, c’est bien le choc reçu par l’économie mondiale. Et les estimations du niveau de la récession, cette baisse continue de la création de biens et de services dans une économie, tombent désormais régulièrement. Et, derrière les chiffres, il y a les réalités, les personnes.

Selon le FMI, l’Europe va être durement frappée ; l’Italie va subir, en 2020, une récession de – 9,1%, l’Espagne de – 8%, la France de -7,2%, l’Allemagne de -7%, le Royaume-Uni de – 6,5%. Ce même organisme nous annonce un rebond d’activité en 2021, mais après quels dégâts ? Les dettes des États, déjà élevées, vont lourdement augmenter. Celle de la France va très probablement atteindre les 120% de son PIB. L’économie des USA va se contracter, en 2020, de – 5,9%.

Les grandes sociétés ne seront que peu touchées par la diminution momentanée de leur chiffre d’affaire, et par la nécessité du recours supplémentaire à l’endettement. Elles disposent de réserves, elles savent pouvoir compter sur les crédits bancaires obtenus avant la crise ; en cas de resserrement du crédit par les établissements financiers, elles peuvent émettre des obligations – captant ainsi directement l’épargne privée – ou faire jouer leurs réseaux d’influence au sein du système politique pour contraindre les banques privées à leur consentir de nouveaux prêts. Par- dessus tout, les grandes entreprises peuvent compter sur le soutien des banques centrales. L’immense majorité d’entre-elles, donc, ne périra pas. 

Mais ce qui s’applique aux grandes entreprises ne l’est pas aux petites. Ces dernières sont plus fragiles, souvent dépendantes de grosses sociétés, très exposées à un seul marché ou à un nombre réduit de clients. Et leur trésorerie n’est bien souvent que fort peu garnie. Elles ont du talent, mais le souffle court. Dans cette triste affaire, ce sont les PME qui payeront le prix le plus lourd.

Concrètement, cela signifie des faillites nombreuses, des dettes non-recouvrables, une énorme perte de capitaux et de compétences, une destruction de structure, du chômage de masse, de la détresse sociale. Dans les pays développés, les assurances sociales, les États, viendront en aide à tous ces malchanceux. Cela les aidera à passer ce cap difficile, sans leur épargner les souffrances liées à la perte de leur statut social. Les pays d’Europe, hélas, ne sont pas les USA : on ne s’y relève pas aussi facilement. Malheur à celui qui a fait faillite !

En Europe, en Amérique du Nord, des organismes encadrent et soutiennent les chômeurs et les gens sous-employés, ils font en sorte que les dégâts sociaux ne deviennent pas trop graves. Mais nombre de pays ne connaissent pas ces allégements. Leurs États n’ont pas les moyens d’aider les chômeurs, les petits entrepreneurs ayant fait faillite, les indépendants sans clients, tous les fragiles acteurs du secteur informel. Dans beaucoup de régions pauvres du monde, c’est à la famille que revient la charge d’aider ses membres en difficultés.

Jetons un œil sur les emplois menacés dans de semblables régions.

Voyons ce qui se passe au Moyen-Orient. L’Organisation arabe du tourisme prévoit des pertes de 40 milliards de $ d’ici fin avril ; 1,7 millions d’emplois y sont menacés. Passons en Afrique noire : en Afrique du Sud, 1,5 millions d’emplois liés au tourisme risquent de disparaître, 95% des avions des compagnies aériennes de cet immense continent sont cloués au sol. D’après la Banque Mondiale, la récession en Afrique, en 2020, devrait se situer entre -2,1% et -5,1%, dans des pays où la progression démographique ne ralentit pas. Toujours selon la Banque Mondiale, l’Afrique du Sud et le Nigeria, les deux géants économiques du continent, devraient subir une récession de – 6% à -7%. Selon l’Union Africaine et l’ONU, entre 20 et 50 millions d’emplois, formels et informels, sont menacés.

Ces pertes économiques n’auront-elles que des conséquences sociales ? Certes, non ! L’explosion de la pauvreté, dans un contexte de progression démographique, au Moyen-Orient, en Afrique noire, en Asie du Sud, est la porte ouverte à des troubles sociaux. Et, dans des pays qui n’ont guère les moyens de satisfaire des revendications sociales, qui connaissent la dictature, les inégalités économiques les plus franches, qui sont fragilisés par des antagonismes confessionnaux ou ethniques, un tel échauffement des populations est la voie la plus directe vers des explosions de violence. La Syrie, en ce siècle, a connu un semblable processus destructeur, jusqu’à la guerre civile, la destruction de son patrimoine et l’exode d’une part massive de sa population.

Quand les esprits se seront calmés, pour ce qui est de cette crise du Covid-19, il faudra faire le compte des craintes, des pertes réelles, des exagérations, et des responsabilités.

Quelques sources :

https://www.latribune.fr/economie/international/coronavirus-la-plus-terrible-recession-mondiale-depuis-1929-selon-le-fmi-845082.html

https://www.latribune.fr/economie/international/coronavirus-ces-chiffres-qui-racontent-le-choc-economique-historique-844062.html

https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-04-02/u-s-jobless-claims-doubled-to-record-6-65-million-last-week?utm_content=economics&utm_medium=social&utm_source=twitter&cmpid%3D=socialflow-twitter-economics&utm_campaign=socialflow-organic

https://www.france24.com/fr/20200411-les-%C3%A9conomies-de-l-afrique-subsaharienne-durement-frapp%C3%A9es-par-le-coronavirus

https://www.courrierinternational.com/article/previsions-la-crise-economique-pourrait-entrainer-leffondrement-de-nombreux-etats-arabes?utm_me

Illustration: Stephff

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