PAR WOLF LINDER
Tout le monde s’accorde à dire que le Conseil fédéral assure une bonne gestion de la crise épidémique: ni trop tôt ni trop tard, avec des mesures pas trop sévères mais opportunes. On devrait se montrer satisfait d’un gouvernement dont la responsabilité repose sur sept têtes et non sur un seul chef.
Certes nombreux sont ceux qui se demandent si les dommages causés par le confinement comme thérapie préventive – y compris les dommages sanitaires – ne se révèlent pas plus onéreux que la limitation des contagions. Mais, simultanément, beaucoup s’étonnent que l’immense majorité du peuple ait adhéré aux restrictions imposées, sans se rebeller.
Des informations lacunaires
Le capital de confiance dont a bénéficié le gouvernement durant cette période extraordinaire pourrait bientôt s’effriter. Déjà, on observe deux volets de la politique fédérale qui offrent le flanc à la critique.
Premièrement, les indépendants, les entreprises et leurs salariés demandent la réouverture rapide de leurs commerces, de manière à limiter les dégâts économiques. Mais le marathon du déconfinement se révélera plus difficile que le saut réussi dans le confinement.
Deuxièmement, la politique d’information de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) à propos de la gravité du risque sanitaire s’est avérée jusqu’à présent très discutable. Certes le Conseil fédéral a honnêtement reconnu en savoir peu sur le développement de la pandémie et le taux de létalité du virus. Mais il est incompréhensible que sur ce sujet l’OFSP ne s’appuie que sur deux séries de données, à savoir le nombre de personnes dont l’infection a été avérée par un test et le nombre de décès dus au coronavirus.
Ces effectifs ne disent pratiquement rien sur l’évolution de la pandémie ni sur le risque réel de ce virus, comparé à la mortalité lors d’une grippe «normale». Sur cette question centrale du taux de létalité, la controverse demeure vive entre experts. Mais les médias ne la reflètent que rarement et se contentent, dans leur grande majorité, de répercuter les informations officielles sur le Covid-19.
Une telle attitude pouvait se justifier lors de l’éclatement de la crise. Cependant, aujourd’hui, des voix devraient se libérer de ce confinement mental concernant le danger létal que représente ce virus. Et les gens ont le droit d’en savoir davantage sur certaines questions médicales et pratiques.
S’il est particulièrement important de ne pas surcharger les hôpitaux, pourquoi ne pouvons-nous pas systématiquement connaître le nombre de patients qui y entrent et en sortent, ni le taux d’occupation des soins intensifs, comme l’annonce chaque jour, par exemple, le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo?
Le retour du parlement
Voilà des questions politiquement complexes que l’incertitude ne simplifie pas. Dans ce pilotage à l’aveugle, il paraît difficile d’éviter des changements de cap, tout comme des contradictions et des ambiguïtés. La forte crédibilité dont a bénéficié jusqu’à présent le Conseil fédéral va être mise à rude épreuve si ce dernier doit continuer à gérer cette crise en solitaire.
La volonté de suivre les consignes de l’exécutif pourrait faiblir. C’est pourquoi il devient urgent de se référer à la Constitution. Il appartient au parlement de faire ce premier pas vers un retour au fonctionnement normal des institutions.
Et il ne s’agit pas seulement d’avaliser les milliards libérés par le gouvernement. Les Chambres, en dialogue avec le Conseil fédéral, peuvent mettre en évidence tous les aspects critiques des mesures prises, exiger des modifications, voire même les compléter ou les corriger par leurs propres réglementations. Le parlement aurait déjà pu faire tout cela; il aurait même dû le faire au vu des interventions unilatérales des acteurs économiques.
Les élus se réunissent ces jours en session spéciale, dans une halle de Bernexpo. Leurs décisions devraient asseoir plus solidement la responsabilité politique et la légitimation démocratique de la sortie de crise. Alors, que peut-on attendre de cette rentrée parlementaire atypique?
Un retour constructif à la normalité ne doit pas donner lieu à des manœuvres politiciennes qui, sous prétexte de la crise du coronavirus, retarderaient le traitement de dossiers importants – la politique européenne, la prévoyance vieillesse, le climat ou l’énergie.
Le parlement pourrait faire preuve de créativité, par exemple en réfléchissant à la manière de financer les dizaines de milliards dépensés pour amortir les dommages causés par le virus: un impôt sur les successions, un micro-impôt sur le trafic des paiements sans espèces, une autre proposition soumise au suffrage populaire?
C’est ce qui s’est passé en 1938, époque marquée par une crise économique, la menace extérieure et l’usage du droit d’urgence. Un projet de financement des dépenses croissantes de défense nationale ayant échoué devant le parlement, le Conseil fédéral proposa de prolonger le droit fiscal d’urgence. Les partis bourgeois et la gauche s’y sont alors opposés et ont élaboré un projet fiscal provisoire et limité dans le temps, l’impôt de défense nationale, adopté par le peuple et les cantons comme la Constitution l’exigeait.
Ce fut ainsi une sortie de crise réussie, non pas conduite en solo par l’exécutif, mais grâce à l’interaction entre le Conseil fédéral, le parlement et le peuple.
Traduction et adaptation DP d’après l’original allemand, publié le 28 avril 2020 dans la Neue Zürcher Zeitung.