L’enfant dans l’art suisse, d’Agasse à Hodler


PAR PHILIPPE JUNOD

Le virus chinois n’aura pas provoqué que des effets négatifs. Ceux qui ont bénéficié de rames de métros vides, par exemple, en savent quelque chose! Certes, les boutiques ou galeries désertées, c’est triste pour les commerçants ou les artistes. Mais les musées … pour les visiteurs qui ne doivent plus faire la queue ou se munir d’un périscope pour tenter d’apercevoir un tableau par-dessus les têtes ou les épaules des bavards agglutinés devant les cimaises, c’est le paradis ! Pas de doute, c’est le moment ou jamais de visiter les musées – du moins ceux qui ont rouvert …

Le Musée d’art et d’histoire de Genève, faute d’avoir fait peau neuve, a renouvelé son accrochage, et selon une excellente et récente tradition, il consacre la dernière salle du parcours au premier étage à une exposition temporaire. En l’occurrence, il s’agit d’un ensemble thématique sur la représentation de l’enfance en Suisse au XIXème siècle. Choisies par la conservatrice Brigitte Monti, les œuvres sont tirées des collections du musée – c’est à dire essentiellement des réserves, que l’on sait toujours beaucoup plus riches que ce qui est montré d’ordinaire dans les salles. On aimerait voir cette procédure plus souvent mise en œuvre, car elle a le double avantage de révéler des objets oubliées et de les mettre en contexte, quand ce n’est pas de les restaurer. Une pêche miraculeuses riche de belles découvertes et de retrouvailles bienvenues. Peinture et sculpture font bon ménage, et si la qualité est variable, l’intérêt est constant.

L’accrochage est plaisant, la structure instructive, et les panneaux didactiques judicieux, attentifs aux détails et à la dimension sociale des scènes représentées. C’est ainsi par exemple qu’on découvre la poussette à trois roues dans un tableau du premier Hodler. Car l’exposition décline tous les genres, du réalisme intimiste ou pittoresque au portrait d’apparat, de l’autoportrait en famille à l’allégorie. Un symbolisme discret colore Le soir. Mère et enfant (1903) de Wilhelm Balmer, peintre bâlois trop peu connu en Suisse romande. Quelques grands noms, Pradier ou Anker par exemple, encadrent des protagonistes moins connus, mais souvent de qualité.

Tel est le cas de Daniel Ihly, dont une grande toile, L’enterrement de mon enfant, de 1884, suffirait à elle seul à justifier une visite. Aux antipodes de la rhétorique de Courbet, elle montre un paysan portant sa faux qui assiste de loin à la scène, figure solitaire et tragique qui n’est pas sans évoquer la Grande Faucheuse des Danses macabres. Certains sujets sont récurrents à l’époque, comme l’enfant malade (traité par Munch ou Vallotton par exemple), ou l’enfant au travail. D’autres motifs sont repris du XVIIIème siècle, comme celui de la la Balançoire, mis en scène ici par Agasse. Quant au thème de la maternité, il semble éternel, ce qui n’empêche pas Alfred van Muyden, qui a séjourné à Rome, de se souvenir de Raphael. Edouard Ravel, qui fut son élève, est à l’honneur en occupant à lui seul le mur du fond avec un chœur de marmots dirigés par un prêtre dans une sacristie. A noter que cet artiste, qui sort lentement du purgatoire, fera l’objet en 2022 d’une rétrospective à Versoix, sa ville natale. Rassemblée au centre de la salle, la sculpture réserve à l’amateur quelques bonnes surprises, non dénuées d’humour. Au-delà de l’anecdote, et en dépit parfois d’une inévitable mièvrerie qui tient aux sujets représentés, c’est la peinture qui s’impose sur les murs, dans ses aspects les plus divers. Bref, une exposition séduisante, intéressante et intelligente, à voir jusqu’au 31 décembre .

Faute de catalogue, on consultera avec profit l’excellent dossier de presse.

Illustration: Alber Anker, 1874, Genève, MAH

Tags: , , , , , , , , , ,

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.