PAR PIERRE ROTTET
Le coup de force fomenté en fin de semaine passée par un groupe de congressistes péruviens (notre article du 14 septembre 2020) a échoué. Le président Martin Vizcarra a en effet échappé vendredi à une destitution « pour incapacité morale », à la suite d’accusations de « manipulation » de témoins. Cela dans le cadre d’une enquête portant sur des soupçons de corruption,
Les comploteurs de ce « coup d’Etat » avorté n’ont recueilli que 32 voix (sur 130 Parlementaires). 78 congressistes ont dit « non » et 15 se sont abstenus. Les adversaires de Vizcarra avaient besoin de 87 votes pour entamer une procédure rocambolesque en destitution, plus proche d’une république bananière que d’une démocratie.
« La demande de vacance est archivée », a dû se résoudre à déclarer le président du Congrès, Manuel Merino (droite conservatrice), l’un des principaux instigateurs de cette mascarade – il lui serait revenu d’assumer la présidence en cas de destitution de Vizcarra.
Triste spectacle télévisé en direct, vendredi 18 septembre dans l’hémicycle du Congrès au cours d’un débat de plus de 10 heures, mettant plus à mal encore la politique et les politiciens du Pérou qui ont, pour beaucoup tout au moins, autant de respect pour leurs fonctions et la démocratie que Pinochet n’en avait pour les droits de l’homme.
Plusieurs congressistes à l’origine de cette affaire sont du reste sous le coup d’investigations. Parmi eux, Edgar Alarcon, délinquant notoire, dénoncé comme tel en juillet dernier par la procureure de la République pour des délits d’enrichissements et autres méfaits, ou encore Daniel Urresti. Ce dernier affronte depuis deux semaines un nouveau jugement pour l’assassinat du journaliste Hugo Bustios, commis alors qu’il était officier des services de renseignements de l’armée.
Peu après 8 heures, vendredi matin, le président Vizcarra est brièvement monté à la tribune pour affirmer que les seules choses illégales dans cette affaire étaient les vidéos enregistrées à son insu. Il a laissé à son avocat, Roberto Pereira, le soin de faire face à ceux qui avaient monté ce coup d’Etat. Une heure durant, l’avocat Pereira a mis en pièce les accusations des adversaires du président, démontant ainsi le mécanisme qui devait mener à la vacance du pouvoir. Et donc, but de la manoeuvre, à repousser aux calendes la présidentielle et les législatives convoquées en avril 2021.
Sans honte aucune, ni réflexions non plus, les congressistes du Front populaire agricole du Pérou, le Frepap, une secte fondamentaliste mystico-politique arrivée à la surprise générale en troisième position en nombre de sièges lors des élections anticipées du 26 janvier dernier, ainsi que les membres du parti « Union por el Peru » (UPP), groupement nationaliste qui milite en faveur de la peine de mort, ont massivement voté pour la destitution. Accompagnés de quelques voix éparses issues de diverses formations.
Déjà accablé par le désastre sanitaire qui en fait l’un des pays les plus touchés par le coronavirus en termes de décès par 100’000 habitants, catastrophe qui s’ajoute à sa plus grande récession économique, le Pérou n’avait pas besoin d’exhiber un spectacle politique si navrant. Journaliste péruvien, Reynaldo Muñoz estime que Vizcarra ne ressortira néanmoins pas indemne de cet épisode. Ni le congrès, « comme toujours discrédité, cette fois par la faute d’un groupe de délinquants, plus proches des mafias locales que des réalités qui touchent le Pérou. Le panorama est sombre… Très sombre !»