Le souci de l’emploi en guise de cache-sexe


PAR JEAN-DANIEL DELLEY

Dès lors qu’il s’agit de réguler l’activité économique, l’argument-massue de l’emploi figure en bonne place dans l’arsenal des opposants. On se souvient de la campagne sur l’initiative populaire contre l’exportation d’armes dans les années 1970. L’industrie suisse de l’armement et ses quelques milliers d’emplois ne pourraient survivre à une telle interdiction, prétendaient-ils. L’argument est repris en 1997 sur le même sujet, à propos de la réduction de la durée du travail (1998 et 2002), la lex Weber sur les résidences secondaires (2012) et le salaire minimum (2014), entre autres.

Aujourd’hui, les adversaires de l’initiative «Multinationales responsables» entonnent la même rengaine. Imposer aux entreprises suisses de se conformer aux standards internationaux en matière de droits humains et de protection de l’environnement reviendrait à sacrifier des emplois aussi bien en Suisse que dans les pays pauvres.

Le plus souvent cet argument s’avère tout simplement faux. Voyez le projet d’imposition du bénéfice des entreprises qui a vu une course au moins-disant, sous prétexte qu’un taux trop élevé – en réalité modeste en comparaison internationale – ferait fuir les entreprises multinationales. Or pour la plupart, ces dernières tiennent compte de nombreux autres critères pour s’établir en Suisse. 

En réalité, la baisse substantielle des taux d’imposition traduit la concurrence acharnée à laquelle se livre les cantons, chacun croyant tirer son épingle du jeu au détriment des autres. Tout récemment le demi-canton de Nidwald s’est illustré dans ce jeu destructeur en abaissant son taux de 6 à 5,1 %, mieux que Hong-Kong.

Des emplois seraient en danger si des entreprises ne respectaient pas les standards internationaux en matière de droits humains et d’environnement? Car il s’agit bien de cela, et non d’exigences helvétiques qui verraient la Suisse faire la leçon au monde.

Défendrions-nous des emplois qui mettent en danger la santé des employés et celle des populations environnantes? Des emplois qui imposent des conditions de travail indignes? L’emploi constitue-t-il l’objectif ultime de nos sociétés, à maintenir et à développer à n’importe quel prix? Ou ne représente-t-il qu’un moyen d’exercer des activités répondant aux besoins humains, lesquels besoins incluent également l’exigence de dignité des personnes et de respect du milieu naturel?

C’est à ces questions que nous invite à répondre l’initiative pour des multinationales responsables. Et si notre réponse conduit des sociétés comme Glencore à quitter la Suisse, nous ne nous en plaindrons pas. Elle et quelques autres, de par leurs politiques prédatrices, ne contribuent qu’à salir la réputation du pays.

Celles et ceux – organisations économiques, partis et parlementaires – qui semblent si préoccupés par l’impact  de cette initiative sur l’emploi, les a-t-on jamais entendus réagir à la disparition des postes de travail dans les secteurs déclinants de l’économie et aux licenciements ne visant qu’à l’optimisation des bénéfices? Les avons-nous vus monter au front pour proposer une véritable offensive de formation continue et de réinsertion professionnelle, et améliorer la protection des salariés?

Brandir la défense de l’emploi contre l’initiative «Multinationales responsables», c’est faire usage d’un cache-sexe pour protéger une économie qui ne tolère aucune entrave à son libre exercice, qui est devenue le but suprême de notre société.

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