Avant le second confinement, atmosphère de «fête factice» mêlée d’anxiété dans les rues de Paris



Jusqu’au dernier moment, les Parisiens ont fait le plein d’achats dans des magasins hyper bondés et ils se sont dit « adieu » à la terrasse des brasseries avant la « mise en boîte » nationale.

PAR YANN LE HOUELLEUR

« Ne vous faites aucune illusion, Monsieur, à la rentrée prochaine nous serons à nouveau confinés . » Prémonition fatale ? Non, ces propos émanaient d’une aide-soignante bien informée, quatre mois avant « le retour en force » de la déferlante du coronavirus. A la terrasse du Rouge Bis, je dessinais le Moulin Rouge dont la roue est plus que jamais figée. Assise à une table voisine, cette infirmière m’observait. Une conversation s’ensuivit au sujet de la pandémie. Cette femme travaille dans un hôpital public et à cette époque elle racontait que les professeurs de son service étaient déjà en train de réorganiser leurs équipes en vue d’un reconfinement.

Hélas, rassurés par un président qui voulait à tout prix voir rebondir l’économie, des centaines de milliers de Français sont partis disséminer le virus au milieu des plus séduisants paysages de l’Hexagone… Quatre mois plus tard, le jeudi 29 octobre, la France était en effervescence. Contrainte, en un temps record, à se reconfiner, un drame absolu pour les restaurateurs et les petits commerçants qui pensaient s’en sortir. La plus belle capitale du monde, au cœur du fléau, brillait de ses derniers feux, entre couvre-feu et mise en boîte. Une atmosphère de fête factice mêlée d’une anxiété palpable s’était emparée des grands boulevards.

Quartier du Montparnasse: un tintamarre épouvantable ; ambulances, voitures de police, camions de pompiers écorchaient « la fête » de leur sirènes anxiogènes. Même dans l’étroite rue de la Gaîté, jadis si fréquentée par les amateurs de représentations théâtrales, il y avait foule. Bobino, Théâtre Montparnasse, la Gaîté Montparnasse, etc: les badauds frôlaient des affiches annonçant des spectacles qui n’auraient plus lieu. Curieuse mise en scène que celle du confinement dont nous devenions tous les acteurs malgré nous.

Curieusement, le serveur qui m’apporta un café à la terrasse du Dôme, l’une des brasseries mythiques le long du boulevard du Montparnasse, avait l’air plutôt fort heureux : « Je vais profiter du confinement pour m’occuper de ce qu’il y a de plus important au monde… mes enfants ! » Ladite terrasse était pleine. Une dame me fit un clin d’œil rieur. Comme des milliers de Parisiens, elle fuyait une capitale en plein déclin pour s’exiler dans sa résidence secondaire, en province.

Peu avant le couvre-feu de 21 heures, les rues étaient encore noires de monde, moult personnes se précipitant vers la bouche de métro la plus proche. Pendant tout l’après-midi, les magasins, à Paris comme en banlieue, avaient été pris d’assaut. Un autre serveur vint à ma rencontre, tandis que je prenais en photo une carte du menu, joliment composée. « Alors, adieu Monsieur. A bientôt, dans un mois, j’espère ». On aurait dit, ce soir-là, que les gens échangeaient des « adieux » très émus avant de partir sur le front.
Réminiscences de périodes de leur Histoire commune plus sombres encore ? L’approche de ce confinement bis était comme un pas supplémentaire vers la mort. La mort de tant d’illusions célébrées au gré des décades écoulées. La France, c’était une idée de l’art de vivre, de la culture, d’un rapport avec tout à la fois la religion et la laïcité. Et il faudrait désormais lutter, à armes inégales, contre des ennemis masqués voire voilés : le virus, le terrorisme islamiste, la déconfiture économique (le PIB cette année devrait reculer au-delà de 10 %), etc.

Le lendemain, quelques heures après l’entrée en vigueur de cette claustration, des chaînes de télévision retransmettaient les premières images de manifestations anti-confinement, aux alentours du Palais Royal. Sur le plateau de CNews, une chaîne d’info en continu liée à Canal +, les participants à un débat s’accordaient à reconnaître que les Français s’étaient montrés plutôt disciplinés et résignés.

Mais sous cette apparence d’adhésion au protocole sanitaire fermentait une révolte, d’autant plus grande qu’une bonne partie des restaurants et bars allaient disparaître, inéluctablement. Par contre, les grandes enseignes de la distribution et surtout les plateformes des Gafa allaient une fois de plus s’en mettre plein les poches. Un élu d’une ville en banlieue, Monsieur Chaouki Abssi à Gennevilliers, s’inquiétait de cette lamentable réalité via facebook: « FERMETURE DEFINITIVE… Ce sont les deux mots que vous verrez bientôt sur les vitrines (des commerces) de votre ville si vous craquez sur les plateformes d’e.commerce pendant ce second commerce.

Effectivement, cette « hyper crise de la Covid » est le révélateur de nombreux dysfonctionnements : quand l’économie française tournait encore à plein régime, il était beaucoup question, à la télévision, de villes en province annihilées par la désindustrialisation et le chômage rampant. Des rues entières évoquaient des scènes de guerre : stores baissés ou vitrines éclatées, enseignes arrachées, façades fissurées, pavés disloqués, monceaux d’ordures abandonnés sur le pas des portes et plus un chat ne s’y aventurant…

Maintenant, ce sont toutes les communes de France qui sont menacées par l’hécatombe des commerces de proximité et même, plus horrible encore, les boulevards parisiens et des quartiers naguère prospères grâce au défunt tourisme de masse. Il suffit de parcourir les rues attenantes au parvis de Notre Dame pour se rendre compte de l’ampleur de la tragédie : 70 % des magasins spécialisés dans la vente de souvenirs ont fermé leurs portes. La France pleure ses morts de la Covid, ses victimes de kamikazes islamistes tout en enterrant ses petits commerçants…

Dessin: Yann Le Houelleur, 2020

Paris, Boulevard du Montparnasse. Photo Yann Le Houelleur, 29 octobre 2020

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