Le F-35 est-il au point? La leçon (retenue?) de l'”Affaire des Mirages”


PAR BERNARD ANTOINE ROUFFAER

Le F-35 dont l’armée suisse veut se doter est- il au point ? Les nouvelles technologies militaires sont très séduisantes, mais elles ont deux défauts : elles coûtent cher et sont rarement au point, relève l’auteur de cet article, le premier d’une série consacrée à l’acquisition du nouvel avion de combat helvétique.

A la fin des années cinquante, l’aviation militaire suisse cherchait un nouvel avion de supériorité aérienne, destiné à renforcer les 250 De Havilland Venom acquis auprès de l’industrie aéronautique britannique à partir de 1954. Le monde se trouvait alors en pleine Guerre froide, et la Suisse, quoique neutre, anticipait une éventuelle offensive des troupes du Pacte de Varsovie en direction du Rhin et des ports de l’Atlantique, offensive qui la toucherait certainement. Il lui fallait donc accumuler les moyens de faire respecter cette neutralité.

L’aéronautique militaire mondiale ne cessait alors de faire des bonds technologiques : apparition des premiers chasseurs à réaction au début des années 40 ; multiplication des systèmes radars, au sol ou embarqués ; généralisation des jets, tant pour l’attaque au sol que pour la chasse, pendant la Guerre de Corée ; apparition des premiers appareils capables d’atteindre deux fois la vitesse du son à la fin des années cinquante. C’est ce genre d’engin qui semblait nécessaire aux responsables de la force aérienne helvétique.

Pour faire face au redoutable MiG-21 soviétique, ou au bombardier Tupolev Tu-16, le choix de l’état-major se porta, en 1958, sur le Mirage III c de Dassault. Intercepteur conçu pour atteindre rapidement de grandes altitudes et de grandes vitesses, armé de missiles de courte et longue portée, il offrait la possibilité d’interdire l’espace aérien suisse aux chasseurs rapides, ainsi qu’aux bombardiers nucléaires ennemis. Le gouvernement français, à l’origine du développement de cet appareil, en était satisfait.

Tel n’était pourtant pas le cas de l’état-major général helvétique. Le Mirage III était… trop français. Soucieux de diversifier l’origine de ses armements, attirés par les nouvelles technologies de combat, les décideurs suisses commirent une erreur : sous-estimer les inconvénients des nouvelles technologies. La Suisse accepta le Mirage III, mais voulut le faire assembler dans ses propres usines, en modifiant le train d’atterrissage et le réacteur. Elle désira surtout le doter, à la place d’équipements français, d’un radar et d’un missile à longue portée américain. Le nez du Mirage III c devait donc accueillir le radar us Hughes Taran-18, chose pour laquelle il n’avait pas été conçu . Cela entraîna réflexions, calculs, modifications, essais … Dans l’industrie aéronautique militaire, secteur gourmand en crédits, toute modification est coûteuse. Ce radar était nécessaire pour conduire le missile choisi par l’état- major suisse : le AIM-26 Falcon.

Ce missile a une histoire étonnante. C’est, en effet, l’un des seuls engins de ce type conçu originellement pour porter une charge nucléaire. Les techniques de guidage de missile étaient, alors, si primitives, si inefficaces, que, pour abattre une cible aussi peu manoeuvrante, aussi peu rapide, aussi grosse, qu’un bombardier soviétique Tupolev Tu-16, il valait mieux lancer un engin chargé d’une tête nucléaire et pulvériser, dans une énorme explosion, toute la formation ennemie plutôt que de chercher à « faire dans la dentelle » en ciblant l’un ou l’autre des bombardiers adverses. On n’est jamais assez prudent. C’est ce gros missile qui intéressait nos officiers. Bien entendu, les USA ne vendirent pas à l’étranger la version primitive de l’engin, armée d’une arme nucléaire ; ils vendirent à la Suisse et à la Suède la version B, infiniment moins puissante, armée d’une ogive à charge militaire conventionnelle. Laquelle version n’était pas plus manoeuvrante et précise que le modèle nucléaire…

Bref, on s’imagina, en Suisse, beaucoup de choses au sujet des Mirages et des Falcon, on s’agita beaucoup, on traça des plans trop beaux pour être couronnés de succès… et le prix de nos Mirage III s monta aussi vite et aussi haut que pouvait le faire ce fameux intercepteur. Résultat, ont eut 57 avions pour le prix de 100. Et le missile Falcon, remplacé progressivement dans l’armée de l’air des USA par le AIM-7 Sparrow dès l’année 1963, ne fut pas plus efficace.

Pour donner une idée de la médiocrité des missiles air-air à longue portée de cette époque, le AIM-7 Sparrow, pourtant conçu, lui, pour atteindre des chasseurs petits et rapides, fut, pour les militaires américains, une terrible et dangereuse déception quand il fut engagé au combat contre les petits, lents et obsolètes MiG-17 de l’aviation communiste, au-dessus du Nord Vietnam. De nombreux pilotes us, pourtant aux commandes du fameux F-4 Phantom, trouvèrent la mort dans ces combats, après que leurs missiles faillirent lamentablement dans la tâche qui leur était confiée.

L’ « Affaire des Mirages », donc, fut la découverte par la Presse et les Politiques de notre pays, en 1964, de l’étendue du pataquès. Le scandale provoqua la démission du chef de l’état- major général Jakob Annasohn et du chef du département militaire fédéral, le Conseiller fédéral Paul Chaudet, tous deux responsables du fiasco.

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