Toujours aussi inventive, la France a sauvé du naufrage plusieurs de ses candidats majeurs à la présidentielle.


PAR YANN LE HOUELLEUR, Paris, texte et photos

La démocratie du plus grand pays européen, déjà si mal en point, a failli se retrouver aux urgences.
Certes, les yeux des Français (tout comme leurs voisins) sont tournés vers l’Ukraine et une sourde inquiétude commence à enfler, d’autant plus qu’un détachement de 250 soldats est posté en Roumanie, à titre préventif.

Mais la France a frôlé la catastrophe sur son propre territoire : trois des candidats perchés au sommet des sondages ont failli ne pas pouvoir se présenter à l’élection présidentielle, dont le premier tour aura lieu le 10 avril. A savoir Marine Le Pen (défendant les couleurs du Rassemblement national), Eric Zemmour (Reconquête) et Jean-Luc Mélenchon.

En effet, pour qu’un prétendant aux plus hautes fonctions de la République soit autorisé à participer à la bataille, encore lui faut-il recueillir 500 parrainages. C’est-à-dire le blanc seing d’un maire, d’un conseiller territorial, d’un député, entre autres élus.

Or, quand un maire donne son aval à un candidat considéré comme clivant ou « extrémiste », il s’expose à certaines rétorsions, par exemple le blocage d’aides financières via le préfet. Et depuis le si morose mandat de François Hollande, les maires sont obligés de dévoiler le candidat qu’ils ont décidé de parrainer.

Curieusement, une candidate telle qu’Anne Hidalgo, maire de Paris et investie pour la présidentielle par un Parti socialiste en pleine déroute, avait recueilli plus d’un millier de parrainages bien que piteusement créditée de 3 % des intentions de vote. Susceptible de moissonner – selon les sondages – 16 à 18 % des suffrages exprimés, il manquait à Marine Le Pen, tout comme à son « frère ennemi » Eric Zemmour, quelques dizaines de parrainages. Alors, soudain, le gouvernement a senti rôder un danger, celui d’une démocratie en trompe l’œil où les candidats les plus populaires seraient absents d’une telle compétition, alors que nombre de Français, par le biais de leur vote, ont l’intention d’apaiser leurs frustrations. La France, en l’occurrence, a compris le gouvernement, est une cocotte minute secouée par de fortes tensions sociales. Empêcher Le Pen, Zemmour ou Mélenchon de concourir à la présidentielle, c’était prendre le risque de voir des cohortes de citoyens crier leur indignation dans les rues et d’attiser ce que d’aucun appellent « l’imminence d’une guerre civile ».

La France est un pays formidable par sa propension à résoudre sur le champ certains problèmes susceptibles de lui valoir la réputation d’une démocratie tronquée et sulfureuse. D’abord, le président de l’association des maires de France, David Lisnard, premier magistrat de Cannes, a annoncé qu’il accordait son parrainage à Jean-Luc Mélenchon. Lisnard compte parmi les étoiles du parti Les Républicains. Rien de plus cocasse que de voir un membre de l’opposition la plus sage soutenir un candidat aussi exalté et baroque que Mélenchon qui, récemment, s’est permis d’humilier un policier en direct lors d’une émission télévisée. Puis le premier ministre Jean Castex est monté au créneau, s’inquiétant face aux députés de la Nation sur les rangs de l’hémicycle des dangers que courrait la démocratie française. Et depuis quelques temps, une solution se faisait jour, défendue par François Bayrou, pourtant l’un des soutiens les plus fervents d’Emmanuel Macron dont il fut ministre pendant quelques jours (avant qu’un scandale n’éclate). Maire de Pau, trois fois candidat à la présidence, Bayrou est la clef de voûte du Modem, un parti centriste rallié à la majorité présidentielle. Il affirmait posséder une « bourse » d’environ 500 soutiens disponibles en faveur des candidats malchanceux incapables de récolter leur quota de parrainages. Et du jour au lendemain, Le Pen, Zemmour et Mélenchon ont pu respirer, aptes à voir leur candidature validée par le Conseil constitutionnel.

A l’heure actuelle, le scénario de 2017 pourrait bien se reproduire : Emmanuel Macron et Marine Le Pen étant appelés à ferrailler au second tour de la présidentielle. Pour M. Macron, « Marine » est l’adversaire toute rêvée, d’autant plus qu’elle est fragilisée par l’entrée fracassante, sur la scène politique, du journaliste Eric Zemmour dont la nièce de Mme Le Pen, Marion Maréchal, vient de rejoindre l’équipe. En réalité, l’on est en train d’assister à une reconfiguration de l’échiquier politique spectaculaire. Anne Hidalgo joue le rôle de Fossoyeuse des Socialistes. Et la candidature de Valérie Pécresse, investie par les Républicains, ne parvient pas à décoller. Cette ancienne ministre de Sarkozy, actuellement présidente de la région Ile de France, n’imprime pas sa marque dans l’opinion publique, notamment parce qu’elle est une piètre oratrice, propice aux gaffes, et qu’elle s’apparente à une grande bourgeoise.

S’il est un représentant de la bourgeoisie qui a toutes les chances de l’emporter, c’est plutôt… Emmanuel Macron. Son « mandat parallèle » actuel de président de l’Europe l’aide à se forger cette stature de protecteur des Français qui séduit notamment les retraités mais aussi la fraction de la France qui a tiré les marrons du feu d’une mondialisation si contradictoire, laquelle a ébranlé la France comme tant d’autres pays. Si la pauvreté, la précarité ont progressé à grands pas pendant le mandat présidentiel écoulé, il existe des Français qui s’en sortent encore très bien, soucieux de ne courir aucun risque en glissant leur bulletin dans l’urne. Emmanuel Macron est à la politique ce que Michel Drucker aura été si longtemps à la télévision : le gendre idéal dont rêvent tant de Françaises…

Traumatisés par la pandémie et sa centaine de milliers de morts, manipulée par une Macronie souvent sans scrupule dans l’art de la farce, tétanisée par la perspective d’une guerre à l’échelle européenne, sous le charme d’un président qui sait si bien jouer « le jeune homme bien propret et bien élevé » lors de débats publics, une partie non négligeable des Français désire profiter d’une zone de confort dont « Emmanuel 1er » semble être le garant. Pas question de tenter de trop incertaines aventures. Toujours est-il qu’avec la mort probable des Républicains, une nouvelle droite, plus offensive et réunissant un tiers des intentions de vote, risque de devenir le grand opposant à M. Macron qui pourrait connaître un second mandat fertile en mauvaise surprises. La France est un pays très malade, en dépit de la propagande gouvernementale, faisant de la luge sur une pente glissante avec de forts risques d’avalanches. A commencer par une précarisation sans précédant de toute un pan de sa population, confrontée à une insécurité grandissante, en proie à une immigration jugée par une majorité de Français excessive et dont l’endettement ne cesse d’enfler : la dette publique atteint près de 120 % du PIB intérieur brut. Une chose est sûre : promettant une baisse supplémentaire des impôts, « Emmanuel II » devra bien un jour prendre le chemin de la rigueur, à l’instar d’un certain François Mitterrand il y a déjà si longtemps…

Yann Le Houelleur, artiste-auteur, a créé un journal numérique intitulé « Franc-Parler » 

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Un commentaire à “Toujours aussi inventive, la France a sauvé du naufrage plusieurs de ses candidats majeurs à la présidentielle.”

  1. Christopher Gerber 7 mars 2022 at 19:00 #

    Sans surprise, Emmanuel Macron devrait être réélu le dimanche 24 avril à la présidence de la République française. Selon un sondage IFOP pour Paris Match, LCI et Sud Radio daté de ce vendredi 4 mars, il serait élu au second tour de l’élection avec 56.5% face à Marine Le Pen. Face à Valérie Pécresse, 60.5% des électeur voteraient pour lui. Face à Éric Zemmour, son score serait de 64.5%.
    Ces trois candidats possibles face au président sortant ont en commun de venir de partis classés à droite (Droite républicaine ou nationale, voir extrême-droite)

    Au-delà de l’élection même c’est l’avenir de la droite française et sa recomposition qui se jouent.
    Si Valérie Pécresse, la candidate des Républicains (LR) – droite républicaine – n’arrivait pas au second tour, le parti pourrait imploser : son aile centriste devrait rejoindre les Macronistes – des ténors LR ont d’ores et déjà apportés leur soutien à Emmanuel Macron tel Jean-Pierre Raffarin l’ex-Premier ministre de Jacques Chirac, Eric Woerth l’ancien ministre sarkozyste du Budget et Natacha Bouchart, actuelle maire de Calais. Renaud Muselier, président de la région Sud, a lui aussi annoncé sans surprise son ralliement à Emmanuel Macron trois mois après avoir quitté Les Républicains. L’aile droite du parti, représentée par Laurent Wauquiez, Éric Ciotti et Bruno Retailleau pourrait être tenté de rejoindre Éric Zemmour – si celui-ci était au second tour – ou par la création un nouveau mouvement plus conservateur si c’était Marine Le Pen qui était au second tour.

    Sauf à faire un score très en deçà des 13-15% dont il est crédité – ou sauf victoire de Valérie Pécresse au premier tour – le grand gagnant à droite sera clairement Éric Zemmour, qui aura créé une dynamique au sein de la droite et qui est dorénavant un outsider politique qui compte avec un parti et des élus. Celui-ci a toujours prôné l’union des droites françaises et la création d’un grand parti réunissant l’aile droite conservatrice ou populaire du LR avec le RN. Il aura aussi permis le retour en politique plus tôt que prévu de Marion Maréchal que l’on n’attendait pas avant l’élection présidentielle de 2027: ce dimanche 6 mars elle a annoncé son ralliement à Éric Zemmour.
    Le parti d’Éric Zemmour Reconquête – fort de 100’000 adhérents – pourrait soutenir la future candidature de Marion Maréchal pour 2027.
    Pour rappel, le retour de Marion Maréchal était souhaité d’après un sondage IFOP daté du 07 juin 2019 par 77% des sympathisants RN et 53% des sympathisants LR.

    La grande perdante de cette élection sera probablement Marine Le Pen pour qui ce sera la troisième candidature à l’élection présidentielle. Même si elle devait être au second tour face à Emmanuel Macron – élection qu’elle devrait perdre d’après les sondages- elle aura du mal par la suite à exister face à la dynamique du parti d’Eric Zemmour et de Marion Maréchal.

    Si le gagnant de l’élection présidentiel devait être le président sortant, il n’y aurait pour autant pas que des perdants en face. Et certains travaillent déjà en coulisses aux élections législatives de juin de cette année et à la présidentielle de 2027.

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