La polémique autour du «wokisme» fait rage en France

PAR YANN LE HOUELLEUR, en banlieue parisienne, texte et photos

Un mois après le second tour de l’élection présidentielle, une autre campagne électorale, tout aussi bruyante, bat son plein. Dans trois semaines, les Français désigneront leurs 557 députés. On l’attendait tel une oasis au milieu du désert séparant deux échéances électorales : le nouveau gouvernement a été constitué par l’austère et technocratique Elisabeth Borne, l’ex-ministre du Travail désignée quelques jours auparavant par Emmanuel Macron. Du haut de son nuage empli de foudre, « Jupiter », ainsi que le surnomment volontiers les médias, a tiré les ficelles de ce quelque peu surprenant ministère.

En effet, n’ont pas manqué de relever les observateurs, les nouveaux venus sont assez peu nombreux. Jupiter s’est contenté, en grande partie, de maintenir à leur poste quelques ministres-clés : Gérald Darmanin aura une fois de plus la main sur la police (autrement dit l’Intérieur), Bruno Le Maire est reconduit dans ses fonctions de Grand argentier en ces temps de tempête (+ 600 milliards d’euros de dettes pendant le premier quinquennat Macron), le très controversé avocat Dupont Moretti continue à veiller sur la Justice, cette « clochardisée de la République ».

D’autres ministres tenus pour les gardiens du temple de la Macronie ont toutefois été appelés à de nouvelles fonctions, en particulier l’irascible Olivier Véran qui, auparavant en charge de la Santé, avait orchestré, avec tant de fausses notes, la pandémie (Covid). Ce neurologue qui a fait tant de déclarations offensantes à l’encontre du personnel soignant comme des parlementaires se voit confier, précisément, un portefeuille stratégique : les relations avec le Parlement.

La continuité sans le changement ? C’est toutefois un tout nouvel arrivant dans l’équipe ministérielle qui, dès sa nomination, a déchaîné des polémiques très nourries comme on les aime tant en France. Depuis un an à la tête du Musée de l’Histoire et de l’Immigration, Pap Ndiaye s’est vu confier le tout puissant ministère de l’Education nationale qui se taille la part du lion dans le budget de la République. Cet historien et chercheur désormais incontournable est de couleur noire. Un « détail » autant qu’un constat qui compte dans un pays où la question raciale, exacerbée par l’avancée du « wokisme », vent mauvais soufflant depuis les Etats-Unis, enflamme les esprits (tout au moins dans la presse et les hebdos sérieux ainsi que sur les plateaux de chaînes de télévision telles que CNews). Soudain, au sein de la droite et des partis dits « souverains » (qualifiés péjorativement d’extrême droite), des propos hostiles ont sans doute comblé d’aise un président énigmatique aux décisions imprévisibles qui cherche en permanence à diviser un peu plus l’opinion publique ou tout au moins à braquer les projecteurs sur des questions hypersensibles. Succédant à Jean-Michel Blanquer (considéré initialement comme un pilier de la Macronie censée faire barrage aux extrêmes), Pap Ndiaye serait davantage enclin à écouter les enseignants et à répondre à leurs attentes. Réputé conciliateur, il aura beaucoup de pain sur la planche ainsi qu’on peut s’en apercevoir en lisant l’excellent trimestriel « Zadig » (mars 2020) : classes d’écoles surchargées ; dans les départements les plus atteints pénurie de professeurs remplaçants ; manque croissant de surveillants, conseillers d’éducation, médecins, etc. Or, les pourfendeurs du wokisme, dont certains sont « infiltrés » au sein même de la nébuleuse macronienne, ont vu dans cette promotion l’occasion de dénoncer la déconstruction de la France dont le président lui-même s’était fait l’architecte.

Pour mémoire, à la fin de son premier mandat, Emmanuel Macron avait fait de retentissantes déclarations lors d’une interview accordée à la chaîne américaine CBS (avril 2021). Une journaliste l’avait enjoint d’évoquer la question raciale. Mettant les pieds dans le plat, Macron avait osé une comparaison avec la ségrégation raciale dont avaient souffert les Etats-Unis. «Nous faisons partie des pays coloniaux avec toujours de l’immigration, avec beaucoup de gens venant des anciennes colonies et, par exemple, du continent africain. » Toujours selon Jupiter, la France est confrontée à « de nombreuses tensions lorsque des personnes sont victimes de discrimination… » Et le président d’insister, en effet : « Nous devons déconstruire notre propre histoire. ».

Et c’est là, très précisément, que la polémique autour de l’entrée, dans les troupes gouvernementales, de l’emblématique Pap Ndiaye prend tout son sens, révélant aussi une certaine volte-face. A la même époque, au micro de France Inter, (antenne de radio financée par le contribuable français), le futur ministre de l’Education avait alors évoqué le nerf de la guerre, à savoir l’islamo-gauchisme : « Ce terme ne désigne aucune réalité et il est plutôt le moyen de stigmatiser des courants de recherches. » Comme nos lecteurs le savent sans doute, l’une des composantes des études portant sur le wokisme est l’intersectionnalité. « Une manière, selon Pap Ndiaye, de croiser les approches antiracistes et antisexistes et de considérer que les situations sociales sont le fruit d’entrecroisements causées par des discriminations diverses. Il s’agit de recherches importantes qui irriguent la recherche nationale et qu’il ne faut pas mettre à l’index. »

Dès lors, une question s’impose, soulevée par de nombreux journalistes : « Qu’a-t-il vraiment cherché, Emmanuel Macron, en nommant ministre de l’Education nationale cette personnalité louée par ses amis et même ses adversaire pour ses qualités intellectuelles ? » A ce stade de cette réflexion, « on » peut parvenir à l’hypothèse suivante : le maître élyséen des horloges a voulu provoquer, tout à la fois audacieux et subtil, Jean-Luc Mélenchon. Dans les heures qui ont suivi la réélection de Macron, le chef de file des Insoumis (actuellement une vingtaine de députés et quasiment aucun élu local), a rendu publique sa nouvelle lubie : « Elisez-moi Premier ministre ». Autrement dit : si est moissonnée à travers les urnes une majorité d’élus se réclamant de la Nouvelle union populaire et écologique (alliance entre la France insoumise et les Socialistes en lambeaux + les Communistes en régression et les Ecolos gaspillant leur capital de crédibilité), le chef de l’Etat serait amené à « interpeller » le même Mélenchon qui deviendrait alors son Premier ministre, ce qui n’est aucunement prévu par la Constitution. En fait, Macron tend un piège à son opposant aux dents si longues. Par ses origines et par sa stature, incarnant la diversité ethnique et culturelle propre à la République française, Pap Ndiaye aurait pu être le ministre d’un hypothétique chef de gouvernement tel que Jean-Luc Mélenchon !  Le courroux qu’a provoqué dans le camp des « partis les plus à droite » la désignation de cet historien et chercheur n’a fait que donner un surcroît de carburant aux candidats à la députation portant les couleurs du Rassemblement national, le parti refondé par Marine Le Pen, et à ceux de Reconquête, toute jeune formation politique engendrée par Eric Zemmour, auxquels s’ajoutent des groupes d’une envergure moindre tels que Les Patriotes de Florian Philippot et Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan. A cause du système électoral en vigueur (scrutin majoritaire à deux tours), le RN pourrait obtenir un nombre de sièges à l’assemblée national très inférieur aux scores réalisés par LFI (la France insoumise). Or, les élites et l’intelligentsia française préfèrent donner un petit coup de pouce à Marine Le Pen (qui a mené une campagne électorale lors de la présidentielle, entre le premier et le second tour, assez contestable voire désastreuse), jugée assez inoffensive, plutôt que de favoriser cet autre déconstructeur.

Brillant, orateur hors pair, capable d’entrer dans des colères homériques, Jean-Luc Mélenchon est décrié par une grande partie des médias. Soulevant l’ire des Insoumis, les hebdos “Le Point” et “Valeurs Actuelles” lui ont consacré plusieurs pages avec des articles ravageurs. Des éditorialistes et spécialistes ont rappelé ses propos outranciers au sujet des forces de police. Un thème très sensible dans un pays confronté à une vague de délinquance sans précédent. Selon des statistiques récemment publiées, la France serait le pays le plus criminogène sur le Vieux continent. Parmi les déclarations de Mélenchon qui ont agacé, voire stupéfié ses adversaires : « Pour qu’ils se tiennent tranquilles, on n’arrête pas de céder des trucs aux forces de l’ordre. » Le cerveau des Insoumis jouerait-il avec le feu ? Suggérant de supprimer les Brigades anti-criminalité (Bac), il a osé dire : « Soixante pour cent de leur activité est de contrôler combien de barrettes de shit les citoyens ont dans leur poche. » Une évidence, pour finir : la France occuperait la première place dans le rang des pays européens en termes de consommation de stupéfiants.

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