A Saint-Denis, le football en prend un «sacré» coup


PAR YANN LE HOUELLEUR, en banlieue parisienne, texte et photos

«Je n’ai jamais travaillé autant de ma vie. Pourtant, ça fait quelques jours à peine que j’ai décroché ce contrat de serveuse… Regardez, tout ces gens en terrasse. Ils ne sont pas si rares ceux qui me tendent leur carte bleue pour une addition entre 300 et 400 euros…»

Marie suit des études dans un institut dédié aux arts de la scène. Pendant la belle saison, elle travaille dans l’un des restaurants encadrant la charmante place de la Contrescarpe. Nous sommes sur les hauteurs de la montagne Sainte-Geneviève à quelques jets de pavés du Panthéon. Vendredi (27 mai 2022), l’atmosphère était électrique dans tout le quartier latin comme un peu partout ailleurs à Paris. La bière coulait à flot. Une très vive tension se faisait sentir. Des jeunes gens, en short, comme des couples «plus mûrs» qui s’exprimaient aussi bien en anglais qu’en espagnol…

Paris, ce soir-là, était vraiment la plus belle capitale européenne, baignant tout à la fois dans les dollars et les euros et plongée dans la fête… moyennant le risque de débordements en tout genre.

Le lendemain, samedi 28 mai, une partie de «ce beau monde» se retrouvait à quelques kilomètres de là: Saint-Denis, préfecture de l’un des départements les plus peuplés (le 93) et les plus pauvres.

A proximité d’une basilique où sont exposées les reliques des monarques de l’ancien régime, dans une ville préfectorale où se juxtaposent des logements insalubres et des résidences réservées aux «bobos», surgit la cathédrale édifiée à la gloire du football français et mondial: le Stade de France ! Or, les dieux du sport, ce soir-là, sont entrés dans une colère magistrale. Il s’en est fallu de peu pour que le bilan de la finale entre le Real Madrid et le Liverpool Football club ne tourne au carnage tant l’atmosphère, sur le parvis du stade, s’est avérée être hyper-électrique. Le fantôme de la tragédie au stade d’Hillsborough (demi-finale de la FA Cup entre Liverpool et Nottingham Fores) a plané sur la banlieue parisienne: «on» s’est souvenu d’un bilan sanglant au Royaume-Uni à cause d’un mouvement de foule. Soit 97 morts et 766 blessés, le 15 avril 1989.

Scènes hallucinantes au Stade de France: des forces de l’ordre débordées courant après des grappes de jeunes qui tentaient d’escalader les hauts piquets et grillages entourant la cathédrale sportive. Quelque 6.800 policiers, gendarmes et CRS, ont fini par asperger de gaz lacrymogène ces «individus exaltés», parfois à l’aveuglette en raison d’une extrême confusion. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui assistait au match à l’intérieur du stade, a d’emblée accusé – injustement – les supporters britanniques d’être à l’origine de ces échauffourées qui fort heureusement n’ont causé aucun décès, aucun blessé grave. Il semble, en effet, que certains parmi eux se soient vus ravir leur ticket d’entrée, chèrement payé (entre 200 et 700 euros !) par ce que la presse tricolore surnomme volontiers «les racailles», ces jeunes vivant dans des points chauds en banlieue qui se dérobent à tout respect de l’autorité et qui frayent avec la délinquance, narco-trafic inclus.

Gennevilliers en banlieue parisienne.
Photo ©2022 YLH

Les racailles, parlons-en! «Les cités» sont un casse tête en France, souvent accusées par des politiciens, des consultants et des commentateurs de tous les maux bien que s’étalant à la périphérie des villes. Au bas d’immeubles érigés à l’apogée des trente glorieuses, quand la France accueillait par centaines de milliers des familles en provenance de ses ex-colonies, rôdent et maraudent des jeunes gens en survêtements de couleur sombre qui éprouvent beaucoup de difficultés à s’intégrer à la société de consommation. Non point pour les dédouaner, mais pour éviter les habituels préjugés, il convient de le dire: ces jeunes, qui ont pour certains grandi dans des familles monoparentales, aimeraient accéder aux facilités et aux biens onéreux acquis par les classes supérieures. Dans la start-up hexagonale prônée par le président Macron, ces strates de la population plus favorisées que d’autres comprennent de nombreux jeunes travaillant notamment dans les secteurs du numérique, de la communication et du commerce, etc. Diplômés et expérimentés, ils peuvent s’offrir de beaux appartements, des voitures, des billets d’avions, des écrans de télévision géants, des résidences secondaires, des week-ends à la campagne, etc. Certes, ces rebelles issus principalement de l’immigration ne meurent, pour la plupart d’entre eux, pas de faim. Mais il existe un raccourci, dans leur tête, qui associe la possession de biens à un processus de domination de classes sociales considérées avec un soupçon de jalousie et de raillerie. Et voilà bien le cœur du problème: comment faire cohabiter, sur des territoires densément peuplés, des familles gagnant relativement bien leur vie, se plaignant d’acquitter de copieux impôts, jouissant pleinement des bienfaits de la mondialisation, et des familles moins aisée qui bénéficient des subsides d’un Etat jugé par beaucoup comme trop généreux.

Faute d’avoir résolu ces problématiques, faute de voir la réalité en face, de très nombreux Français proclament, par la voie des urnes, que la balle est «sur le terrain» des ces «gens-là». Et ce n’est pas le moindre paradoxe si les jeunes des cités cherchent à communier, précisément, avec la France toute entière, à travers cette grande célébration multiculturelle qu’est le football. Combien d’associations, d’institutions et de bonnes volontés ne s’emploient-elles pas à favoriser l’intégration de ces adolescents et jeunes gens en leur proposant des activités sportives. Or, précisément, et même dans des villes sous la coupe de formations politiques se réclamant de la gauche, il existe un manque d’installations sportives, maints jeunes réclamant davantage de terrains de jeux et s’estimant trahis par les élus locaux.

Revenons-en aux polémiques qui ont émaillé la retransmission de cette finale au stade de France à Saint-Denis. Le match, dont le coup d’envoi à été donné avec une demi-heure de retard, a été l’occasion pour des millions de terriens découvrir le malaise abyssal auquel la France est confrontée, outre une suspicion quant à l’incapacité de l’UEFA et de la Fédération française de football à orchestrer de telles «réjouissances footballistiques». Mises à mal par les médias, les forces de l’ordre rejettent la faute sur les stadiers et l’organisation en interne sur les lieux mêmes de la finale. Réaction de Mathieu Vallet, porte-parole du syndicat indépendant des commissaires de police, interrogé par la chaîne CNews : «L’UEFA a fort à faire pour améliorer ces compétitions. Les policiers ont épongé l’incurie des organisateurs.»

Beaucoup d’observateurs se demandent si Paris et sa banlieue sont vraiment en mesure d’accueillir des millions de visiteurs étrangers en 2024 lorsque les Jeux Olympiques battront leur plein. La France jouera gros à cette occasion. Or, l’Hexagone est en proie à d’énormes tensions internes, plombé par un endettement sans précédent, et il est par ailleurs décrié dans de nombreux pays. Sur le continent africain, la Chine et la Russie cherchent à contrer l’influence économique et culturelle de la France que celle-ci n’a plus vraiment les moyens d’entretenir.

Saint-Denis, sur la ligne du nouveau tram Porte-De-Paris-Epinay-Sur-Seine.
Photo ©2022 YLH.

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