PAR GILLES SEBAN
“Le Voyage dans le Passé” n’est sans doute pas une œuvre majeure de Stefan Zweig. Ce livre est pourtant beau par la grandeur, la sincérité et la noblesse des sentiments.
L’auteur, Stefan Zweig (1881 – 1942), nous fait en effet sentir avec subtilité, délicatesse et sensualité l’ardeur d’une passion amoureuse naissante entre Louis, un jeune homme orphelin de condition modeste, qui a brillamment réussi ses études supérieures, moyen pour lui de se hisser honorablement dans la société, et Charlotte “Lotte”, une jeune femme, épouse d’un riche industriel plus âgé et souffrant, mère d’un petit garçon.
La tension des sentiments assez vite s’installe et secrètement progresse.
Mais la bienséance contraint la jeune femme à feindre d’ignorer ce qu’elle ressent pour lui et lui dans la retenue de se contenter de sa proximité joyeuse, joueuse et parfumée en risquant quelques vaines approches sous le regard silencieux et non moins perspicace du mari qui a compris que sa femme lui échappait. Par la suite, une rude épreuve les pousse l’un et l’autre à se déclarer sans pour autant commettre l’acte de chair: employé comme secrétaire particulier de son mari, il doit partir pour « du business » au Mexique durant deux ans.
La première guerre mondiale éclate et son retour n’aura lieu que 9 ans plus tard. Entre temps, le mari meurt.
Les retrouvailles révèlent une passion endormie mais nullement éteinte.
C’est peut-être là le message de l’auteur: l’amour partagé toujours vivace traverse le temps sans véritablement prendre de rides. Cependant, une autre lecture, psychanalytique celle-là, pourrait être la rencontre d’un garçon avec une mère de substitution. Si tel est le cas, nous aurions là l’explication d’un roman apparenté à la tragédie Grecque “Œdipe roi” de Sophocle.
Enfin, je ne saurais m’empêcher de préciser que ce texte a été admirablement adapté au cinéma en 2013 par le réalisateur Patrice Leconte. Titre évocateur: “Une promesse”. Il s’agissait d’une coproduction franco-belge.
Le pacifisme de Stefan Zweig a suscité de l’incompréhension
Né dans une famille juive à Vienne en 1881, Stefan Zweig laisse le souvenir d’un écrivain atypique. Il a été élevé à la dure, dans un milieu bourgeois.
Il a très tôt éprouvé une attirance pour la littérature. Sa vision de la guerre, pour lui synonyme de haine de vengeance, s’est forgée lors d’un « petit job » en qualité d’archiviste pendant le premier conflit mondial : inapte au front, il a dû s’improviser archiviste.
Les nouvelles qu’il trie et décrypte lui font prendre conscience de ceci : la paix et l’acceptation de la défaite valent mieux que la poursuite de conflits sanglants qui finissent par dégénérer. Quel dommage que Zweig ne soit pas encore vivant pour dégainer des évidences lors de l’infecte guerre en Ukraine qui ruine nos économies...
La voie du pacifisme qu’a prise Zweig lui a valu bien des succès sur le front de l’édition mais à partir du moment où Hitler a mis le feu aux poudres européennes, il s’est senti mal à l’aise, d’autant plus que la police « austro-fasciste » s’est mise à l’inquiéter, notamment en raison de ses racines juives, Et puis, Zweig s’est montré intraitable quand à ses convictions pacifistes et anti-nationalistes. Il lui a beaucoup été reproché de vouloir « pactiser » avec les autorités pro-allemandes afin de protéger son statut d’auteur à succès. Pour Zweig, être un « écrivain engagé relève de l’aberration ».
Alors, cet esprit cosmopolite dont la renommée ne cessait de croître (il fut un écrivain, dramaturge et bibliographe très progressiste) a fini par se rendre à la réalité ; il s’est d’abord exilé à Londres, puis il a fait escale dans plusieurs pays, avant de rejoindre le Brésil.
Dans un article que lui a consacré l’historien germanophone et universitaire Jacques Le Rider, figurent de troublantes observations : « Depuis longtemps, Stefan Zweig avait imaginé écrire un livre sur le Brésil. Son livre « Brésil, terre d'avenir » vient juste de paraître quand il pose le pied sur le sol brésilien. Les Brésiliens se réjouissent qu'un écrivain européen leur consacre un livre. Stefan Zweig, qui réfléchissait jusque-là dans un cadre européen, tente désormais d'élargir l'horizon de sa pensée cosmopolite et supranationale à une vision mondiale (et non mondialiste). Il pense le monde comme l'Europe, d'un point de vue humaniste, celui de la culture et de la paix. Il plaide pour un cosmopolitisme mondial, une sorte de vision des nations unies avant la lettre, dont le Brésil serait un prototype, les Etats-Unis d'Amérique du Sud. »
C’est à Petropolis, à proximité de l’ex-capitale Rio de Janeiro, où naguère les monarques brésiliens avaient leur résidence d’été, que Stefan Zweig est censé avoir mis fin à ses jours, en 1942.
Yann Le Houelleur, dans la région parisienne