Une saga de guerre froide sous la plume d’un écrivain romand


PAR PIERRE JEANNERET

Christian Campiche est d’abord connu comme journaliste …mais aussi comme chanteur en espagnol. Il a publié divers essais, traitant notamment des menaces sur la presse romande, et un premier roman remarqué, Montbovon. Il nous livre un second opus ambitieux. Le roman se tient et il est même souvent palpitant, même si l’abondance des personnages peut dérouter le lecteur inattentif. Le récit se déroule d’abord en Hongrie, dont la mère de l’auteur est originaire, où il est né et dont il maîtrise la langue. Tout commence en 1944-45 à Budapest, où se déroulent de féroces combats entre l’Armée rouge et la Wehrmacht en pleine retraite. La première héroïne est Ágota, une jeune juive hongroise qui fuit la SS et les Croix fléchées, parti d’extrême droite hongrois violemment antisémite. Pour cela, elle se réfugie dans un couvent, le Sophianum, dirigé par Sœur Hilda, d’origine suisse. Un autre groupe social très présent dans le livre est la famille du comte Szén, qui possède la belle propriété de Sashalom, laquelle a donné son nom au roman. L’auteur évoque bien l’atmosphère hongroise : Liszt, Bartók, la danse nationale appelée csardas, le tokay… Les deuxième et troisième parties du roman se passent entre 1948 et 1953, sous le pouvoir communiste avec sa redoutable police politique, l’ÁHV, et pendant ses « purges », où des chefs communistes comme László Rajk sont eux aussi exécutés.

Le livre épouse alors presque la forme d’un roman policier, basé sur des faits véridiques. Il s’agit de la tentative d’exfiltration du primat de Hongrie, le très conservateur cardinal József Mindszentzy (jamais nommé), emprisonné et maltraité par les sbires du régime. Pour cela, la légation de Suisse, aujourd’hui ambassade, et le Vatican « complotent » ensemble. Nous n’en dirons pas plus, sinon qu’il y a un traître dans l’affaire et aussi une belle histoire d’amour contrarié… Le lecteur découvrira les péripéties du roman, qui passe également par le Portugal sous la dictature de Salazar, et par la Suisse. L’ouvrage se termine en 1956-1957, pendant l’insurrection hongroise, écrasée par l’Armée rouge (document DR).

Le roman, qui se lit d’une traite, appelle néanmoins certaines réserves. L’auteur est bien sûr libre de ses opinions politiques. Encore faut-il que celles-ci ne biaisent pas la réalité historique. Ainsi, les communistes hongrois sont tous présentés comme des brutes sadiques et avinées. Quant au tableau que présente Campiche de l’aristocratie en Hongrie (l’un des pays les plus inégalitaires d’Europe jusqu’à 1945), il est un peu idyllique. Les portraits que brosse l’auteur du très discuté pape Pie XII et du cardinal Mindszenty, ainsi que de l’amiral Horthy, sont eux assez complaisants, alors qu’il fait du cardinal Montini (futur Paul VI) une sorte de suppôt des communistes… En revanche, la présentation qu’il donne de l’histoire hongroise au XIXe siècle, sous le joug des Habsbourg puis sous la forme de l’Empire austro-hongrois, apportera beaucoup au lecteur.

Ces réserves étant faites, il faut féliciter Christian Campiche d’avoir osé sortir du cadre étroit où se complaît souvent la littérature romande, et d’oser se frotter à l’histoire mondiale contemporaine, laquelle inclut bien sûr notre pays.

Christian Campiche, Nous ne retournerons plus à Sashalom, Editions La Maraude, 2021, 217 p.

Article paru dans Le Courrier Lavaux-Oron-Jorat

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