Quand l’horreur surgit du passé au Pérou


PAR PIERRE ROTTET, Lima

Deux nouvelles dépouilles ont été récemment exhumées d’une fosse commune sur les lieux mêmes de la caserne dite « Los Cabitos », dans le Département d’Ayacucho, dans la région centrale du Pérou. Deux dépouilles, qui s’ajoutent aux trois autres exhumées depuis le début de l’année.

Selon « La Republica » du 22 avril 2023, des 109 restes de cadavres exhumés entre 2005 et 2009 dans la caserne ou sur le terrain qui jouxte la caserne de « Los Cabitos », à Huamanga, 15 seulement ont été formellement identifiés et remis à leurs familles. Des centaines d’autres victimes de l’armée sont encore probablement enterrées clandestinement dans des fosses communes de cette caserne ou sur des terrains avoisinant « Los Cabitos ».

Le Pérou a beau vouloir faire table rase de son passé, et notamment des graves exactions de son armée, notamment de la « marina de guerra », durant l’époque de la sale guerre, dans les années 70/80, lors de la lutte contre la subversion du Sentier Lumineux (SL), ce même passé ressurgit aujourd’hui. Tel un boomerang et une monumentale gifle assénée à ceux qui ont récemment décidé de faire barrage à la mémoire liée à histoire. En fermant il y a une dizaine de jours le « Lieu de la mémoire » du Pérou, sorte de Musée dédié à la mémoire du pays. Mémoire au demeurant fort sélective et tronquée.

Cela à un moment où le Pérou vit une crise politique sans précédent, avec un gouvernement illégitime et un congrès honni. Avec la lisibilité d’une démocratie plus que défaillante, qui glisse lentement mais sûrement vers le fascisme et la mainmise politique de l’extrême-droite limeña. Un pays isolé internationalement, mis au ban des pays du continent américain et de l’Europe…

Sans surprise aucune, « La Republica » est pour l’heure l’unique média à révéler cette horreur surgie de terre pour rappeler le passé récent d’une sale guerre qui a fait plus de 70’000 victimes, dont près de 60 à 70% des crimes sont imputés à l’armée, parmi les civils, enfants compris.

Des populations, parfois des villages entiers, pris entre les feux du terrorisme du SL et du terrorisme d’Etat, des militaires et des paramilitaires. Des populations le plus souvent accusées à tort d’avoir sous la menace et donc la contrainte donné des vivres aux colonnes du SL dans la Sierra.

Ayacucho, rappelle par ailleurs « La Republica », est en réalité “une immense fosse commune”, étalée sur diverses parties de ce département.

De l’aveu même du quotidien limeño il est impossible de mettre un chiffre sur le nombre de personnes torturées puis assassinées extrajudiciairement. « La stratégie de l’armée a été de combattre à feu et à sang le SL ».

Le dictateur Fujimori et l’autre mauvais génie, Montesinos, créèrent notamment à cet effet le « Groupe Colina », un groupe paramilitaire, formé par l’armée péruvienne, qui sévissait à Lima et dans l’ensemble du Pérou. Ce même groupe Colina s’est notamment rendu coupable des assassinats de 8 journalistes à Uchuraccay et des massacres perpétrés dans les « Barrios Altos » dans le proche Lima, avec notamment l’exécution d’une quinzaine de personnes, dont un enfant de 8 ans, retrouvés avec pour le moins dix balles dans le corps.

Entre de multiples tueries impunies, ces paramilitaires à la vocation d’escadrons de la mort, dirigés par le galonné Santiago Martin Rivas, major de l’armée péruvienne, sont également responsables du massacre survenu le 18 juillet 1992 à l’Université de La Cantuta. Un professeur et neuf étudiants furent alors séquestrés pour disparaître à jamais. Dans l’une des milliers de fosses communes dans le pays.

A la fin du mois de mars dernier, sur l’injonction du maire de Lima, Rafael Lopez Aliaga, tête pensante de l’Opus Dei au Pérou, son homologue du district de Miraflores, à Lima, Carlos Canales, a triché avec l’histoire comme il le fait en politique, en escamotant l’histoire. Il a ordonné la fermeture du Musée de la mémoire. L’influente voire l’omniprésente extrême droite à Lima avait déjà obtenu, il y a 6 ans, la fermeture du Musée de l’inquisition, témoin visuel et historique de la cruauté de l’occupant espagnol, au nom du catholicisme.

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