Lettre a un ami Péruvien – Pourquoi tant de précarité dans ce pays dont la terre offre de telles richesses?


PAR PIERRE ROTTET

Je m’étonne de ta passivité. Du fatalisme et de la résignation aussi, partagées avec tes concitoyens limeños, entre autres, face aux événements qui secouent ton pays depuis près de 18 mois. Je m’étonne ! Mais n’en suis guère surpris. Dans la mesure où ce qui est en jeu ce ne sont ni plus ni moins que tes immenses privilèges, impartageables à tes yeux. Que tu défends. Ceux grâce auxquels toi et les compatriotes proches de ton milieu social avez tissés vos hégémonies et vos pouvoirs sans partage depuis deux siècles, soit depuis l’indépendance de ton pays. Notamment !

C’est assez dire que la corruption, fléau national élevé au rang d’institution au Pérou, a de belles années devant elle… Et avec elle les discriminations, le racisme… et les répressions mortelles. Le Pérou tombe en déliquescence ? Ce qui restait de démocratie f… le camp ? Les institutions et libertés sont en danger ?

La belle affaire ! Car rien, effectivement, ne changera pour toi, pour vous, les blancs et certains criollos de Lima, nantis de tous les passe-droit. Au détriment des autres ? Les autres ? Les ostracisés d’un système. Ceux que tu ignores, les invisibles d’un autre Pérou, celui qui respire pourtant une histoire et une culture, des traditions dont tu te moques. Pire, dont tu es étranger !

Les autres ? Ceux à qui on veut enlever le peu qui leur reste, soit le droit d’exister. Mais en silence. Et à cette unique condition. Doublée de plus de l’exigence qu’ils acceptent la misère, l’opprobre, le mépris dont ils sont les victimes depuis l’indépendance de ton pays. Les espagnols sont partis. Les maîtres et bourreaux sont restés. Demeurent. Omnipotents, omnipuissants. Quand bien même ne forment-ils qu’une minorité. Dont tu fais partie.

Tu n’es pas sans avoir lu l’avertissement que viennent d’adresser au Pérou et donc à vous, citoyens, un groupe d’éminents juristes de ton pays. Avec cette mise en garde on ne peut plus claire. Inquiétante ! Mais de cela aussi tu t’en moques. Pourtant, affirment ces juristes, «le Congrès débilite délibérément les institutions démocratiques ».

« L’affaiblissement des institutions qui font contrepoids au pouvoir politique provoque la faillite de la démocratie et nous mène en droite ligne à un régime autoritaire », dénoncent ces juristes, relayés par « La Republica ». Ainsi, constatent-ils, « avec le contrôle total qu’exerce ce congrès (réd : que 90% des citoyens répudient selon des sondages), sur l’Etat, les citoyens n’ont plus la possibilité de contrôler le pouvoir politique, défendre leurs droits, veiller au maintien des droits que procurent aux citoyens toute démocratie qui se respecte ».

Dans le même quotidien, mais peut-être ne lis-tu et ne regardes-tu que les médias inféodés au pouvoir, à la présidente Boluarte, délégitimée, à son gouvernement et au congrès, dans le 90% des cas, dans le même quotidien, disais-je, est parue l’exhortation – malheureusement pieuse – adressée par Amnesty International (AI) à ce même congrès. Elle demande que ce dernier abroge la délictueuse et ignoble loi de « La protection policière », qui exonère flics et militaires de toute responsabilité pénale. Donne le droit de tuer…

Grâce à cette loi, une soixantaine de personnes ont du reste trouvé la mort depuis la mi-décembre 2022, sous les balles des fusils des rambos au service du pouvoir. Et parmi eux des ados, des passants, brefs, des victimes innocentes. Toutes !

Dans un rapport qu’elle vient de rendre public, AI dénonce en effet les exécutions extrajudiciaires de mi-décembre à nos jours, rejoignant de la sorte les récents réquisitoires de la Commission interaméricaine des droits de l’homme et d’Human Rights Watch, stigmatisant le racisme des forces dites de l’ordre à la base du déferlement de violence contre les indigènes.

Mais de cela non plus, tu n’en as rien à f…

Je veux bien croire que contrairement à ceux qui mènent le pays à la catastrophe, à la dictature, à l’isolement international, latino-américain en particulier, tu ne sois pas vraiment insensible aux exactions, aux massacres commis par ceux qui protègent ta tranquillité. Chut!, silence. Merci de ne pas déranger. La vidange de ta conscience n’est pas pour demain…

Tu n’ignores pas davantage les multiples raisons qui font ta richesse mais poussent aujourd’hui le peuple indigène à se rebeller, à revendiquer la place qui est la sienne dans ce pays. Au même titre que la tienne. Mais qui lui est pourtant niée.

Les raisons, disais-je ? 35% de tes compatriotes, mais les considères-tu seulement comme tels ?, vivent dans la plus grande pauvreté. Dans un pays dont la terre alimente au quotidien les richesses, toutes concentrées dans les régions habitées par les indigènes, et catapulte le Pérou parmi les pays les plus solides financièrement de la région sud-américaine.

L’Institut national des statistiques du Pérou ne se voile pas la face, lui, en rappelant l’existence de ces millions de personnes qui appartiennent à ce monde souterrain voué à l’abandon. A l’abandon… dans un pays, j’insiste, deuxième producteur mondial de cuivre et d’argent. Premier producteur d’or au monde – dont une bonne partie aboutit en Suisse – , mais également premier producteur de zinc, de plomb, d’étain et de molybdène d’Amérique latine.

Je n’ai nullement l’intention de te faire un procès d’intention. Mais je crains fort que tu ne prennes jamais le temps d’une réflexion sur le sujet. Histoire de te demander où se situe l’erreur.

A lire également: La flor de la Cantuta ou l’échec des conquistadores, par Pierre Rottet, La Catedral, à commander à l’auteur: prottet@hotmail.fr . Prix: 18 francs, plus frais postaux. 

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