Livres – Pierre Rottet, une prose qui zigzague dans un grand amour pour le Pérou profond


PAR SÓCRATES ZUZUNAGA HUAITA, écrivain péruvien

Il s’agit d’une belle et brève œuvre littéraire, écrite à la façon d’une Lettre à un ami, avec un style d’écriture à la fois littéraire et épistolaire. Mon intuition me dicte que nous sommes en présence, ici, dans cet écrit, d’une création née des voyages instinctifs et merveilleux de l’auteur, Pierre Rottet, journaliste et écrivain suisse, fidèle auteur et chroniqueur d’infoméduse. Mon audace m’incite également à affirmer que cet ouvrage s’inscrit également dans le cadre d’une chronique de voyage, qui pousse très loin l’écriture jusqu’à être lue puis acceptée comme un essai historique. Cet ouvrage, écrit par un auteur qui se sent profondément péruvien, obéit de fait à la clameur patriotique de notre grand penseur José Carlos Mariátegui: «Péruanisons le Pérou ».

A n’en pas douter, les chroniques de voyages assument à notre époque une importance pédagogique et littéraire véritablement singulière, grâce à l’importance qu’elles prennent dans l’accroissement et le renforcement de notre véritable identité nationale, y compris pour les enfants et les jeunes de notre pays. Avec le charme poétique et naturel avec lequel l’auteur nous fait partager ses méditations et ses pensées, inspirées par ses pérégrinations à travers les terres, les villes et village du Pérou, comme Cajamarca, Ayacucho, Cusco et tant d’autres, Pierre Rottet nous restitue, avec sa profonde sensibilité, son sens incomparables de la contemplation et de l’observation. L’auteur contribue ainsi à donner à son œuvre une force d’attraction exceptionnelle pour tous les types de lecteurs.

A travers la nouveauté même que laisse apparaître le style, toujours vital et permanent dans l’effort historique qui apparaît dans ce livre pour découvrir notre réalité péruvienne authentique, l’auteur parvient en effet à pénétrer le monde péruvien qu’il observe et ressent. Non seulement avec son sens de l’actualité, mais aussi parce qu’il s’implique et sait assaisonner cette expérience concrète du parfum même de la création littéraire poétique. Et en ce sens, son histoire et sa description parviennent à faire se rapprocher poésie et Histoire, nous faisant connaître la beauté ineffable de la fleur de Cantuta et donc une partie de notre histoire passée.

La fleur de Cantuta, pour tous les Péruviens de langue quechua, est représentative d’un symbole lumineux. Elle est en effet dotée d’une signification mystique qui irradie la Peruanidad en puisant dans les racines les plus profondes de l’identité nationale. Pour s’embellir et embellir jusque dans les profondeurs de nos cœurs et de nos esprits.

Pour cette raison, l’auteur de ce livre met en parallèle l’échec des conquistadors espagnols, par rapport à l’idéal, aux traditions et aux coutumes indigènes et andines. Il fait appel en particulier à notre mémoire ancestrale pour mieux restituer le présent. Parce que les envahisseurs, les oppresseurs, les conquistadores n’ont pu les faire disparaître. Ni par le sang et la violence, ni par la croix et pas davantage avec leurs épées durant leur tentative d’évangéliser le peuple des cimes, de la Sierra.

Pas étonnant, ainsi que le démontre l’auteur, que le peuple péruvien andin, serrano, avec ses dieux dits « païens », adopte une forme de syncrétisme religieux, rendant de fait impossible le catholicisme pur et dur du christianisme espagnol imposé par la force. Pour cette raison, tout en acceptant en apparence la philosophie religieuse qu’imposent les Espagnols, les natifs, les indigènes avec leur langue vernaculaire, le quechua, demeureront fidèles à leurs anciennes conceptions religieuses, celles aussi puisées dans la nature. Présente et bienveillante…

Tout cela est défendu par l’auteur. En ces temps de mondialisation et d’échanges culturels, Pierre Rottet a cessé d’être un écrivain contemplatif pour devenir un élément analytique et critique, on pourrait même dire « belliqueux », en raison du fossé culturel qu’il constate et condamne entre Lima et cet autre Pérou, celui des Andes et de la Sierra dont les multi-pluralités très riches sont souvent ou ignorées ou méprisées par la grande bourgeoisie limeña. L’écrivain se pose ainsi en un admirable défenseur de ce qui est à nous, avec l’empathie qui est la sienne à l’égard de notre pays inca, avec toutes les choses admirables de notre histoire passée, qu’il fait ressortir avec une force extraordinaire.

Pierre Rottet s’est détaché cette fois de sa condition exceptionnelle de peintre et de romancier pour faire un excellent travail d’essayiste. Avec non seulement toute la saveur classique d’un récit qui oscille entre l’Histoire et l’essai, mais encore grâce au piment que l’auteur apporte en donnant à son livre un autre l’éclairage: celui d’une vaste chronique journalistique actualisée.

Surtout, il le fait avec une connaissance approfondie de la réalité historique dont il est le témoin, avec la sensibilité éveillée d’un plongeur connaissant la poésie et les Histoires, avec une fine perception des environnements andins et de la psychologie indienne qu’il capture dans de brèves descriptions, avec une prose agile. Une prose qui zigzague dans un grand amour pour notre Pérou profond, comme l’a fait l’écrivain andahuaylino Don José María Arguedas.

Ce qui ne signifie nullement que la prédominance formelle de l’essai soit uniquement mise en évidence dans l’œuvre, dans la mesure où elle s’identifie comme instrument du langage littéraire. Car l’écrivain utilise également les compositions de musiciens andins péruviens, tels que Puka Pirucha – ce qui signifie, en Espagnol, “Perucito Rojo” -, qui apporte à son oeuvre une touche supplémentaire poétique réussie. Dans ce huayno andin, avec lequel l’ouvrage se termine, l’auteur nous fait savoir que la Feur de Cantuta n’est pas seulement utilisée pour enjoliver les autels luxueux des oppresseurs, mais aussi et surtout pour décorer les autels des plus humbles.

Avec cela, l’auteur nous fait connaître sa véritable position idéologique et politique qui est toujours du côté des dépossédés et des exploités du peuple péruvien.

La flor de la Cantuta ou l’échec des conquistadores, par Pierre Rottet, La Catedral, à commander à l’auteur: prottet@hotmail.fr . Prix: 18 francs, plus frais postaux. 

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