Indemniser les descendants des esclaves


PAR MICHEL SANTI

Le mouvement est irrésistible. Dans la même semaine, le Roi Charles exprime ses regrets de la violence coloniale britannique commise au Kenya, et le Président allemand Steinmeier demande pardon à la Tanzanie pour les atrocités perpétrées par les allemands. La question est brûlante : les pays européens seront-ils désormais forcés de consacrer une partie des deniers de leurs contribuables pour dédommager de manière substantielle les descendants des esclaves ?

La cause est ardemment défendue depuis les Caraïbes qui se retrouvent aux avant-gardes de ce combat, porté principalement (mais pas seulement) par la Première Ministre de la Barbade, Mia Mottley, qui demande à ce que ce débat se passe entre «partenaires égaux». Ce n’est donc absolument pas la charité des anciens colonisateurs que réclament les Caraïbes, lesquels ont mis au point un plan de réparations ou de compensations en 10 points allant d’excuses formelles et complètes à formuler par certaines nations d’Europe, jusqu’au versement de fonds destinés principalement aux secteurs de la santé, de l’éducation et de l’accès aux dernières technologies des ex-colonisés. Le défi auquel font face ces pays d’Afrique, d’Asie et des Caraïbes qui exigent une reconnaissance – et pas que symbolique – des ravages perpétrés par les colonisateurs est d’autant plus colossal que les sommes articulées semblent faramineuses.

Un cabinet d’experts américains a évalué à 130 mille milliards de dollars (au minimum) les conséquences de l’esclavage : somme qui ruinerait nombre de ces pays concernés par le règlement de réparations qui seraient calculées au prorata de leur durée occupation et d’exploitation de ces territoires. En d’autres termes, certains pays demandeurs ne se font guère trop d’illusions sur les montants finaux qui leur seront un jour redistribués. Si ce n’est que c’est la détermination et les voix issues des Caraïbes qui font désormais monter la température, arguant du fait que ce ne sont pas moins de 5,5 millions d’africains qui furent emmenés de force dans ces régions, chiffre qui serait 10 fois supérieur au nombre de noirs envoyés en Amérique du Nord.

Hormis les excuses de certains Chefs d’Etat, c’est pourtant toujours par un silence poli que réagissent la plupart des pays européens. Cette gêne palpable est évidemment révélatrice de l’ambiguïté fondamentale dans laquelle se complaisent certains d’entre eux, comme la France. L’esclavage y constitue un crime contre l’Humanité, mais la Cour de Cassation rejette (comme en juillet dernier) néanmoins un recours interjeté par des descendants d’esclaves martiniquais réclamant des dommages à l’Etat… pour ce qui est pourtant un crime dûment reconnu par la loi.

Une partie de la solution consisterait-elle à ce que ces indemnisations proviennent du secteur privé ? L’exemple à suivre serait peut-être britannique où quelques familles aussi célèbres que respectées dont les fortunes sont extraordinairement redevables à l’esclavage ont pris des initiatives, sous la pression de parlementaires descendants d’esclaves. C’est en effet au sein de certaines familles illustres de cette Grande Bretagne, qui fut un grand pays colonisateur, qu’émerge une lame de fond entraînant petit à petit d’anciens propriétaires plus modestes d’esclaves qui oeuvrent en commun à la mise en place d’un dispositif global comprenant un élément rafraîchissant de transparence. Sous l’impulsion de la famille Gladstone, de plus en plus de ces anciens maîtres digitalisent leur arbre généalogique afin d’aider et de contribuer à ce que les familles des anciens esclaves puissent mieux comprendre leur propre histoire.

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