PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris
« Chacun doit être son propre média », invoque Elon Musk, le prophète des temps futurs et modernes. Pour peu qu’on manie au mieux quelques appareils basiques et qu’on possède un peu de tchatche, on s’imagine en capacité d’ouvrir une chaine youtube et de se frayer un chemin dans la jungle des influenceurs et des journalistes. En France, et c’est très certainement le cas dans tant de pays, des youtubeurs se gaussent d’obtenir des audiences supérieures aux médias dominants désignés comme «mainstream». Nombre d’entre eux revendiquent une coloration respectable d’un point de vue politique : ils sont de gauche, donc dans l’empathie quand ce n’est pas l’empathie à tout vent, et ils s’accrochent à la bien pensance comme la grappe à son sarment.
Communicateurs déconnectés
En réaction à cette gauche moralisatrice et donneuse de leçons, feignant d’apercevoir des fachos à tous les coins de rue, qui sable si aisément le champagne avec d’opaques mouvements (certains sous la coupe d’islamistes rusés) plusieurs personnalités ont à leur tour lancé des chaines youtube qui revendiquent une indépendance inébranlable et qui veillent à prendre leur distance avec la «cancel culture» encore en vogue dans des milieux tels que les arts, l’enseignement, le sport et même les sciences. Parmi eux, des journalistes renommés qui ont fait leurs preuves des années durant, sont désormais tout à la fois chroniqueurs sur des plateaux de télévision devenus prestigieux et aux commandes de leur propre média tirant parti des perspectives nouvelles qu’offrent les technologies de pointe. Ils prennent des risques, sachant que le moindre dérapage, la moindre ambigüité verbale, la moindre pointe d’humour jugée tranchante peut donner lieu à des plaintes débouchant sur des procès destinés à faire taire ainsi qu’à ruiner les voix discordantes n’épousant pas le laxisme et le vivre ensemble d’atmosphère imposés par une élite intellectuellement corrompue.
Mais la diversité des opinions et la libre expression se redéploient-elles vraiment pour autant ? Pas si sûr, car on s’aperçoit vite que la déconnexion dont souffre la sphère politique atteint aussi, en plein cœur, le petit monde de la communication, quel que soit l’audience et l’envergure des médias concernés.
Pour faire du buzz, pour multiplier les «punchlines» (les mots qui frappent), il faut impérativement que les journalistes s’agrippent à des personnalités considérées comme incontournables, leur arrachent quelques mots censés faire sensation, des personnalités qui ont pignon sur rue dans la politique, l’économie mais parfois aussi les arts et la culture voire le sport. Aussi la démocratie court-elle un risque supplémentaire, des plus graves : pour s’adresser au peuple, les professionnels de la politique se contentent, assez souvent, d’utiliser cette courroie de transmission si commode que sont les médias. Plus besoin de trop se déplacer à partir du moment où les journalistes à l’œuvre s’agglutinent autour de ces démiurges que sont les stars de la politique lors de soirées, débats, conférences, évènements en tout genre…
Une soirée électorale à Boulogne-Billancourt

J’ai pu me rendre compte de cette évolution assez pernicieuse de la vie politico-médiatique en assistant à une soirée organisée à Boulogne-Billancourt en pleine… campagne électorale. La démission du député Stéphane Séjourné, nommé commissaire européen, impose aux électeurs de la neuvième circonscription des Hauts-de-Seine de se rendre dans les bureaux de vote. En lice: une dizaine de candidats, parmi lesquels Matteo Giammarresi, un jeune homme investi par le Rassemblement national (RN). Une salle au pied de la basilique Notre-Dame louée pour l’occasion était aussi pleine que les rames de métro aux heures de pointe. Aux côtés de ce candidat quelque peu timide s’agitait, très à l’aise en toute circonstance, Laure Lavalette, l’une des députées les plus en vue du RN. Nombre de participants à cette chaleureuse soirée étaient venus aussi bien pour se faire photographier en compagnie de Laure Lavalette que pour déguster les succulentes galettes des rois trônant sur une procession de tables.
«Comment se fait-il, me suis-je dit, que nos député(e)s, quelle que soit leur chapelle politique, puissent intervenir sur un plateau de télé le matin, sur une autre antenne l’après-midi, puis en fin de journée être l’attraction principale d’une réunion-débat ?» L’évidence sautait aux yeux : ils s’appuient sur des attachés parlementaires et des militants qui leur mâchent le travail et pendant ce temps ils peuvent s’offrir en pâture à des médias gloutons et servant trop souvent une soupe fade.
Financés par des fonds d’investissement
Les journalistes et les éditorialistes ont pris nos hommes politiques en otage et ils les empêchent si nécessaire d’observer la réalité sur le terrain. Mais aussitôt me vint à l’esprit une autre question : comment font-ils, les médias nouveaux et soi-disant alternatifs (L’Incorrect, Frontière, Boulevard Voltaire, Atlantico, Omerta et tant d’autres), pour survivre dans un environnement si compétitif ? Par chance, j’entamai soudain une discussion à bâtons rompus avec un étudiant en sciences politiques qui a ses entrées dans plusieurs rédactions. «Ces nouveaux médias sont financés par des fonds d’investissement, la plupart français, attachés à la défense de valeurs favorables à l’idée qu’ils se font de la société.» L’idée m’a effleuré qu’au fil des décades des sommes astronomiques avaient déserté les industries et les usines tout comme l’agriculture, jadis la fierté de la France, pour ensemencer les terres fertiles dévolues aux médias et au divertissement qui sont pour certains autant de miroirs aux alouettes.
Et pour toute une jeunesse que l’on dit «dorée» ou en quête d’une vie meilleure dans les grands centres urbains, il devient plus important de mouliner des idées que de participer à la production de biens durables «made in France». Nous qui vivons dans la région parisienne, et qui nous plaignons si souvent du trop plein de gens se pressant dans le métro, nous ne mesurons pas la chance de vivre dans une métropole qui donne l’illusion d’amortir les coups si durs infligés par la mondialisation. Plus précisément, une mondialisation sauvage qui a vidé de leur sang et de leur légendaire douceur de vivre des territoires où l’on ne crée plus d’emplois, où l’on licencie à tout va, où la vie devient la jungle….