Hongrie, la colère des sinistrés de la boue rouge


Qui se souvient de Kolontar ? De Devecser ?

PAR CORENTIN LEOTARD

Plus de huit mois ont passé depuis la catastrophe industrielle de l’usine de production d’aluminium MAL, qui a tué dix personnes et contaminé plusieurs dizaines d’hectares dans l’ouest de la Hongrie. Des sinistrés ont témoigné pour la première fois à l’occasion d’un colloque organisé au mois de mai à Budapest.

Mónika Szabó, l’épouse du médecin local se souvient de ce 4 octobre où la digue d’un réservoir de déchets de l’usine Magyar Aluminium a cédé. “La boue a tout emporté avec une puissance extraordinaire. Nous avons fui vers le point le plus haut du village, des familles se sont réfugiées sur leur toit pour échapper à l’inondation. 35 centimètres de boue ont recouvert mon jardin. Tout a été anéanti, il ne restait plus qu’un décor de dévastation.”

Depuis, les opérations de nettoyage suivent leur cours, mais tout n’est pas réglé. Lorsqu’il pleut, les précipitations font ruisseler les résidus de boue toxique qui vont contaminer les sols et les cours d’eau. Lorsque le temps est sec, ces résidus en suspension dans l’air pénètrent dans les organismes. Officiellement, la qualité de l’air est bonne, mais beaucoup de personnes se plaignent de crises d’asthme et d’allergies liées à la pollution. “L’air brûle la gorge et les yeux. Vous entendez comme j’ai la voix rauque ? Je ne laisse plus mes enfants sortir sans lunettes de protection”, témoigne une habitante de Devecser.

Le gouvernement a mis en place un centre médical local pour surveiller et rassurer la population, mais les habitants de la zone affectée n’ont pas confiance. Selon eux, les analyses qui y sont effectuées sont limitées et ne sont pas fiables. Plus d’un millier d’entre eux ont signé une pétition réclamant au gouvernement des études sanitaires menées par des laboratoires étrangers indépendants. Le président de l’association des victimes de la boue rouge, János Almási – rencontré par Hulala au début du mois d’avril, le jour de la remise de la pétition au président du parlement – souhaite lui-même quitter la zone touchée par la pollution. “Je ne veux pas rester là-bas car je crains pour la santé de ma petite fille de quatre ans. Si j’étais seul, ce serait peut-être différent”.

Ce climat de méfiance et même de suspicion d’une partie des habitants de Devecser et de Kolontar est entretenu par un manque d’informations autour des activités passées de la Magyar Aluminium. “Personne n’a attiré l’attention de la population locale sur les dangers de ces déchets, beaucoup d’entre nous n’étaient même pas au courant de leur toxicité“, se plaint un homme d’une quarantaine d’années. Il dénonce aussi un climat d’intimidation : Des journaux locaux ont été empêchés de publier sur la boue rouge et ceux qui ont parlé aux journalistes ont été intimidés”, affirme-t-il.

De son côté, le gouvernement met en avant les moyens colossaux mis en place pour la reconstruction et le nettoyage : 1000 personnes et 250 machines travaillent au quotidien ; les travaux de décontamination ont été achevés dans le centre des villages touchés ; 600.000 mètres cubes de matériaux contaminés ont été déposés dans une décharge ; un projet de reforestation a été lancé sur les 10 hectares de terre arable recouverts par la boue. A la mi-mai, 209 habitations avaient été démolies sur un total de 291. 87 maisons sont en cours de construction à Devecser et 21 à Kolontar, selon l’organisme du ministère de l’intérieur en charge des catastrophes, Országos Katasztrofavédelmi Föigazgatoság (OKF). Dans chacune de ces communes, un mémorial va être dressé.

Interrogé par Hulala, l’OKF affirme que l’objectif gouvernemental est de maintenir autant de résidents que possible dans la région. Les sinistrés soupçonnent d’ailleurs fortement le gouvernement de ralentir le processus d’indemnisation pour les dissuader de partir. “Les experts ont sous-évalué les dégâts. Ma maison a été estimée à la moitié de sa valeur réelle”, s’indigne Mónika Szabó. Rapidement après la catastrophe, l’Etat lui a versé une première aide de 200.000 forints (+/- 750 euros), depuis, plus rien. On a même menacé de lui couper le gaz et l’électricité. “C’est ce qu’on appelle la solidarité ? Où est passée l’argent des dons ? Cette solidarité n’est pas parvenue jusqu’à nous, continue-t-elle. A ce jour, moins de 10% de l’argent collecté sous forme de dons a été transféré aux sinistrés : 150 millions de forints sur un total de 2 milliards, selon les chiffres de  l’OKF.

Article paru dans Hu-lala

Photo: Corentin Léotard / Hu-lala

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