De Sarajevo à Kiev, les mêmes causes produisent les mêmes effets


Fièvres ukrainienne, bosniaque,… mais aussi tunisienne, égyptienne… bientôt grecque, portugaise, espagnole, ou quand les mêmes causes produisent les mêmes effets.

PAR MICHEL ZIMMERMANN

À Tuzla, ville industrielle de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, les travailleurs licenciés des entreprises privatisées Dita, Polihem, Poliolhem, Gumara et Konjuh se sont révoltés par milliers, le 6 février, contre le gouvernement cantonal (1) qui avait mené la privatisation de ces entreprises.

Les demandes des manifestants ont été les suivantes: “1. Démission du gouvernement cantonal. 2. Revoir la régularité des privatisations effectuées. 3. Indemnités et sécurité sociale pour les ouvriers licenciés. 4. Répression judiciaire contre les responsables des crimes économiques. 5. Confiscation des actions illégalement acquises, annulation des contrats de privatisation. 6. Retour des usines aux travailleurs, remise sous le contrôle public afin de protéger l’intérêt public et redémarrage immédiat de la production dans les usines dans lesquelles cela est possible. 7. Harmonisation des salaires entre le secteur public et le secteur privé. 8. Paiement des hauts fonctionnaires au salaire ouvrier. Confiscation des primes de présence versées par les autorités aux commissions, comités et autres instances, ainsi que des autres subventions financières injustifiées. 9. Abolition du paiement d’un salaire aux ministres — et autres fonctions officielles — après la fin de leur mandat.”

Le lendemain, la révolte s’est étendue aux principales villes de Bosnie-Herzégovine, avec la même intensité, mobilisant des milliers de travailleurs dans les villes de Sarajevo, Zenica, Brcko, Mostar… mais aussi dans les villes de la République serbe (2): Prijedor et Banja Luka, où la mobilisation a pris la forme de marches de protestation en solidarité avec les manifestants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Dans toutes les villes, les bâtiments des gouvernements cantonaux ont été attaqués, voire démolis et brûlés, ce qui a été également le cas des sièges des partis gouvernementaux. Les protestataires se sont confrontés brutalement à la police, laissant plus de cent cinquante blessés sur le carreau des deux côtés. La mobilisation a pris la forme d’un mouvement de mécontentement général contre le système politique en place et la situation néo-coloniale dans laquelle la Bosnie-Herzégovine est placée (dans les manifestations, on a vu beaucoup de pancartes avec des slogans du type “Assez de travailler pour le FMI”).

Le 7 février après-midi, le gouvernement cantonal de Tuzla a démissionné, répondant ainsi à la première revendication des manifestants. Le lendemain, c’est le Premier ministre du canton de Sarajevo qui a rendu son tablier. Dans ces conditions, les manifestants de Tuzla ont avancé deux nouvelles revendications:

– “Maintien de la loi et de l’ordre par des équipes communes de citoyens et de la police pour empêcher toute criminalisation ou manipulation politique des protestations.

– Etablissement d’un gouvernement de transition non partisan, composé de hauts fonctionnaires non discrédités, n’ayant jamais exercé de mandat politique, afin de préparer les élections de 2014 dans le canton de Tuzla. Un gouvernement qui devra rendre compte publiquement chaque semaine de son travail et de la réalisation de ses objectifs.

Au moment où ces lignes sont écrites, la situation s’est un peu calmée dans l’attente que les revendications soient réalisées. Deux des dix cantons de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (dont le canton central de la capitale, Sarajevo), ont vu leur gouvernement démissionner. Le gouvernement fédéral a d’ores et déjà commencé à tenter de discréditer les manifestants en faisant courir dans les médias de pseudo-informations sur des manifestants qui auraient été en possession de 32 kilos de drogue.

(1) Il s’agit des «cantons» ethniques (croates, musulmans, serbes, etc.) issus, en 1995, des accords signés sur la base militaire américaine de Dayton.

(2) La Respublika Srpska (République serbe) est un territoire sécessionniste, majoritairement peuplé de Serbes, qui ne reconnaît pas l’autorité de la Fédération de Bosnie-Herzégovine.

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