Héritiers suisses, tremblez!


Ah, la Suisse, ses montagnes, ses montres, son chocolat et… ses impôts légers!

PAR MARC SCHINDLER

Un paradis pour les riches, un havre pour les travailleurs bien payés et les rentiers prospères! Ca, c’est l’image d’Epinal que les Français ont de la Suisse. La réalité, c’est que si les Suisses ne font pas pitié, ils paient cher leur prospérité: le coût de la vie est élevé, les impôts sont lourds et la pauvreté augmente. Et surtout, la caisse fédérale de retraite – joliment appelé Assurance vieillesse et survivants (AVS) – a un trou de 300 millions de francs suisses, pour la première fois depuis quinze ans.

La gauche suisse a trouvé la recette miracle. Le petit parti évangélique (si, si, ça existe en Suisse), soutenu par les socialistes et les syndicats, a lancé une initiative populaire pour inscrire dans la Constitution le principe: «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS». En clair, taxer les riches héritiers pour aider les pauvres retraités. Les successions représentaient 2,7% de la fortune privée et 13,1% du revenu national en 2011 (contre 5,1% en 1975). En gros, un magot de 76 milliards en 2015. L’initiative propose de prélever un impôt de 20% sur les héritages dépassant 2 millions de francs et sur les donations de plus de 20 000 francs. Les montants sont doublés pour les couples. Afin de ne pas pénaliser les transmissions de petites et moyennes entreprises, le texte prévoit une exonération de 50 millions pour un taux réduit de 5%. Ca rapporterait 3 millards de francs suisses, deux tiers pour l’AVS, un tiers pour les cantons.

C’est là que ça coince. En Suisse, il n’y a pas d’impôt fédéral sur les successions, ce sont les cantons qui taxent les héritiers. Selon le quotidien “Le Temps”: «Seuls trois cantons, Vaud, Neuchâtel et Appenzell Rhodes-Intérieures, prélèvent un impôt sur les descendants directs, mais tous, sauf Schwyz, ponctionnent les autres héritiers. Cela représente un volume de recettes de 970 millions, soit à peu près l’équivalent de ce que propose l’initiative.» Le gouvernement suisse et le Parlement sont contre. Ils ne crachent pas sur 3 milliards, mais ils préfèrent que les cantons gardent leur autonomie fiscale. Et pour boucher le trou de l’AVS, ils proposent d’augmenter de 2% la TVA.

Evidemment, on pouvait s’y attendre, les cantons, la droite et le patronat – en Suisse, on dit les milieux économiques – montent au créneau. L’un des plus virulents est le ministre vaudois des Finances, Pascal Broulis. Il parle de «course effrénée au populisme anti-impôts». Il rappelle que deux tiers des électeurs vaudois ont accepté l’impôt sur les successions directes qui a rapporté au canton 85 millions sur un total de 5,4 milliards. Et il dégaine l’argument qui tue: si l’initiative sur les successions passe, c’est la mort des juteux forfaits fiscaux. Les 1400 riches étrangers peu imposés qui rapportent plus de 200 millions prendront la fuite. Son credo, c’est le proverbe: «Il ne faut pas déshabiller Pierre pour habiller Paul».

Pour les Français, ce débat de riches pour se partager le gâteau de la prospérité helvétique peut paraître un peu exotique. Vous imaginez ça, en France: demander aux électeurs s’ils préfèrent taxer les héritiers de Dassault, de Tapie, de Bettencourt et d’Arnaud ou augmenter de 2% la TVA? Vous pariez que la TVA gagnera? Mais les malheureux héritiers suisses ont d’autres soucis et c’est la faute de la France. Le 17 juin 2014, la France a dénoncé la Convention fiscale bilatérale la liant à la Suisse, signée le 31 décembre 1953, et visant à éviter la double imposition en matière de successions. En clair, c’est la double peine pour les héritiers suisses: «Concrètement, dès janvier 2015, les quelque 180.000 Suisses domiciliés en France devront payer l’impôt sur les successions en France lorsqu’ils hériteront de biens détenus par des parents résidant en Suisse. Ils risqueront la double imposition, dans la mesure où la Suisse applique le droit du domicile du défunt, et taxe également les héritages, mais à un niveau nettement moins élevé cependant qu’en France.» Le gouvernement suisse a eu beau protester, quand Bercy tient un juteux morceau, il ne desserre jamais les dents! Et son ministre des Finances a fait sienne cette maxime du poète anglais William de Britaine, en 1689: “La joie des héritiers ne s’augmente qu’en proportion des biens qu’on leur a laissés.”

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