Agriculture, le dernier des Mohicans?

Une fois de plus, les agriculteurs français étalent leur colère et leur désarroi face à la baisse des cours qui met en péril le fragile équilibre économique de leurs exploitations.

PAR ALBERT EBASQUE

Une fois de plus, les grandes surfaces sont pointées du doigt pour tirer les prix vers le bas et, avec la puissance de leurs centrales d´achat, s’être organisées en position de force vis-à-vis de leurs fournisseurs… qu’ils soient agriculteurs ou non. En fait deux logiques s’affrontent: d’une part, des petites unités de production souvent familiales et ne disposant pas de la fameuse taille critique. D’autre part, d’énormes et nombreux points de vente en réseaux vendant en très grandes quantités à des coûts marginaux. Et au milieu, des consommateurs – vous et moi – qui veulent de la qualité au meilleur prix…

Et puis un paradoxe: en 2015, l’industrie agro-alimentaire française a dégagé un solde positif de 6,6 milliards d’euros en termes de balance commerciale. Même si la dépréciation de la monnaie unique par rapport au dollar a eu un effet positif, ce secteur contribue bon an mal an à diminuer le solde traditionnellement négatif des échanges commerciaux avec l’extérieur. Car la France exporte une grande part de sa production agricole… mais elle importe aussi une partie de ce qui sera acheté et consommé à l’intérieur de l’Hexagone. D’où là aussi la colère de certains petits producteurs ne comprenant pas que la préférence nationale ne soit pas règle absolue.

En toile de fond, une Politique Agricole Commune inscrite dans le Traité de Rome mais mise en place à partir de 1962 avec une double conception: productiviste et protectionniste. Depuis cette époque éloignée, la PAC a progressivement évolué vers une approche plus qualitative et plus pragmatique en tenant compte de l’ouverture des marchés. Mais en dépit d’adaptations permanentes, notamment en 2013, certains dispositifs comme les systèmes de soutien des prix sont devenus insuffisants ou obsolètes. La disparition des quotas laitiers en avril 2015 a fragilisé les petits producteurs. Et les efforts de regroupements ne suffisent pas car les cours sont trop bas pour rentabiliser les exploitations, notamment l’entretien du bétail.

Au total, le budget de l’Union Européenne est devenu une formidable machine à redistribuer des subventions. Nous sommes dans le schéma d’une agriculture soutenue à bout de bras par Bruxelles, sachant que l’élargissement à vingt-huit membres n’a pas clarifié la situation. Avec plus de 500 millions d’habitants à nourrir et un budget agricole de 60 milliards d’euros, l’Union Européenne doit se préoccuper de la ruralité et du tissu d’exploitations qui en fait la richesse. Et peut-être est-il possible de faire coexister deux modèles distincts: l’un productiviste permettant de vendre de grandes quantités à des coûts compétitifs. L’autre, traditionnel, plus modeste, plus familial mais synonyme de tradition, de savoir-faire, de terroir. Au premier, le débouché des grandes surfaces; au second, celui de circuits courts vers des magasins spécialisés ou des épiceries à l’ancienne qui trouveront certainement leur clientèle. Et entre ces deux modèles, une zone grise où les agriculteurs vendront à chaque type d’acheteurs, chaque type de réseau en fonction de leur intérêt économique et financier du moment.

Enfin, un litre de diesel coûte 1 euro à la pompe et un litre de lait est vendu moins de 40 centimes par le producteur. Implicitement, nous acceptons donc de payer plus cher pour remplir nos réservoirs que pour nourrir nos enfants. L’Etat doit revoir certaines modalités fiscales dans ce domaine sensible, et ce afin que nous n’assistions pas à la disparition du dernier des Mohicans.

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2 commmentaires à “Agriculture, le dernier des Mohicans?”

  1. Zimmermann Michel 6 mars 2016 at 23:45 #

    Vous dites “l’Union Européenne est devenu une formidable machine à redistribuer des subventions. Nous sommes dans le schéma d’une agriculture soutenue à bout de bras par Bruxelles…” : il faut préciser ! L’UE, conformément à son dogme de “concurrence libre et non faussée”, subventionne avant tout les mastodontes de l’agriculture dont la gestion industrialisée de la production permet précisément de casser les coûts de production et, partant, d’écraser le coût de la force de travail, pour le plus grand bénéfice des multinationales de l’agro-alimentaire et de la grande distribution. Bras armé des multinationales et des marchés financiers, elle fait son job.
    La France, contrairement à l’Allemagne, n’a pas à sa frontière les armées de réserves Polonaises et Tchèques qui, au titre de “la libre circulation des personnes et des prestations”, lui fournissent des contingents illimités de travailleurs détachés surexploités pour élever et abattre des milliers de tonnes de cochons “made in Germany”, cultiver le maïs et cueillir les asperges.
    Il serait incorrect de laisser croire que la PAC et les subventions de Bruxelles seraient autre chose qu’une machine de guerre destinée à broyer les petites exploitations agricoles.

  2. artémis 9 mars 2016 at 11:49 #

    Le modèle d’une agriculture abondamment subventionnée vient d’un pays leader occidental extra-européen, qui, sous couvert d’institutions telles Gatt, FMI, Banque Mondiale, met les paysans du monde à genou.
    Votre constat “nous acceptons donc de payer plus cher pour remplir nos réservoirs que pour nourrir nos enfants” est vraiment pertinent. La mobilisation d’un nombre croissant de consommateurs avertis, responsables et solidaires, est essentielle pour sortir de ce modèle.

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