Il est curieux de constater que cinq pays au sud de l’Europe – à savoir l’Espagne, la Grèce, l’Italie, le Portugal et, d’une certaine manière, l’Egypte – ont été pendant des siècles au cœur de notre civilisation mais que leur situation économique et sociale est en berne depuis de nombreuses années.
PAR ALBERT EBASQUE
Ces moments de gloire auront en tout duré environ 4600 ans, débutant par la grandeur égyptienne et ses pharaons pour finalement se terminer vers la fin du XVIIème siècle. Au cours de cette période, le bassin méditerranéen était au centre du monde civilisé et rien ne se faisait sans lui. L’écriture cunéiforme fut ainsi inventée en Mésopotamie, la philosophie le fut en Grèce, le droit est une création romaine, l’Espagne connut une brillante civilisation avec sept siècles de présence d’un islam éclairé et, enfin, le Portugal est à l’origine des grandes découvertes d’un nouveau monde.
Les explications des historiens sont nombreuses et ont souvent un lien avec la religion. Que ce soit la fin des dynasties pharaoniques, celle du monde des Hellènes, la chute de l’Empire romain, le Grand Schisme d’Orient avec l’Empire Byzantin, le fait que les Juifs aient été chassés d’Espagne par les rois catholiques et, enfin, la naissance du protestantisme puis la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Ainsi, polythéisme, animisme, judaïsme, catholicisme, protestantisme, islam et religion orthodoxe ont-ils façonné notre histoire depuis près de cinq mille ans: la puissance à la fois temporelle et spirituelle des Eglises ou des communautés religieuses aura donc fortement structuré le développement de cette région du monde.
Dans son livre «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» paru en 1904, le sociologue allemand Max Weber explique pourquoi la religion de Luther a une relation positive à l’argent et au succès économique, une relation longtemps étouffée ou bien refoulée par le catholicisme. Ceci expliquerait par exemple que la partie nord du continent américain – colonisée par des pionniers d’origine protestante – connaisse une plus grande réussite économique que les pays du sud de ce sous-continent, lui-même conquis par des individus de religion catholique.
Néanmoins, le monde protestant étant circonscrit à la France et aux pays d’Europe du nord, cela ne nous éclaire pas sur l’affaiblissement des cinq pays mentionnés plus haut. Le départ des Juifs de la péninsule ibérique en 1492 peut constituer un élément intéressant car leur forte implication dans la vie économique était réelle. De même, l’unité italienne est récente et ce pays avait été au centre de nombreuses convoitises. Les grandes dynasties royales européennes – les Bourbons et les Habsbourg entre autres – se livrèrent des guerres fratricides pendant des siècles tandis que la chute de l´empire ottoman modifia la carte du Proche-Orient dès 1920.
En fait, il est vraisemblable que l’affaiblissement de ces pays provienne d’un même phénomène: une émigration massive par manque de perspectives d’avenir, à cause du blocage de la société par des élites souvent corrompues et par une absence presque totale de souffle démocratique. Ainsi, le peu d’espoir d’avoir une vie digne sur sa terre natale est-il à l’origine de ces grands mouvements migratoires depuis un peu moins de deux cents ans. A cela s’ajoute l’émergence de nouvelles nations prospères attirant des jeunes générations, des nations ayant développé un capitalisme social et des modes de gouvernance politique inconnus dans les pays du bassin de Mare Nostrum. Ainsi, le centre de gravité du monde se trouve-t-il maintenant quelque part dans le Pacifique, entre la Chine et les Etats-Unis. Et le cœur-même de l’Europe ne se situe plus sur les rives de la Méditerranée mais beaucoup plus au nord. L’heure de gloire est donc passée et le phare d’Alexandrie n’est plus depuis longtemps ce bel astre luisant. Surprenant, non?